Sur la rive droite du fleuve Sénégal, enfoui trois kilomètres à l’intérieur des terres sahéliennes du Guidimakha mauritanien, s’étend le plus grand étang de la région, l’étang de Golmy Nkhâré. Ce lac est alimenté en période de cru par le fleuve Sénégal, qui en se retirant, laisse emprisonnée une partie de son eau dans cet endroit marécageux. Véritable réserve ornithologique, l’étang accueille des multitudes d’oiseaux à cette saison. Parmi eux, des oies sauvages, des aigrettes, des hérons blancs, des marabouts, des cormorans, des mouettes, des martins-pêcheurs, des cygnes, des pélicans etc, qui défilent en longueur du temps dans un ballet de chants et de piaillements assourdissants.
Même s’il porte le nom du village de Golmy (Sénégal), l’étang de Golmy n’khâré appartient symboliquement au village de Djogountouro (Mauritanie) qui décide à quel moment convoquer les autres village pour la pêche.
Tous les ans, lorsque la pluie tombe abondamment, la population de Yaféra, dès la fin des moissons, s’affaire autour des préparatifs de la pêche, confectionnant de nouveaux filets de pêche, des nasses et des éperviers, réparant les anciens qui peuvent encore l’être, aiguisant les vieux harpons, les machettes, les sagaies et les javelots.
A la voix du crieur publique qui annonce la veille, le départ du lendemain à l’aube, on prépare provisions et montures. Au premier chant du coq, tous les hommes valides de Yaféra mais aussi des différents villages voisins, s’élancent sur les sentiers de la mare, après avoir traversé le fleuve par pirogue, à certains endroits à la nage ou même à pieds, en cette période d’étiage.
Sur le chemin, l’on dépasse de temps en temps, quelques dromadaires incroyablement oisifs, bien loin de l’image du légendaire vaisseau du désert d’antan, mâchouillant et ruminant sous l’ombre avare des acacias millénaires. Pendant les cinq heures de trajets qui séparent le village de Yaféra de l’emplacement du lac, on croise sur le chemin des rongeurs, des chacals, des hiboux et des chats sauvages dont les yeux globuleux, luisent dans les derniers nuages d’obscurités avant l’aurore, au contact des lampes torches reflétées ça et là par des jeunes gens curieux de tout, dont cette sortie constitue la première découverte d’aventuriers novices.
Au passage du petit matin, à l’heure où le jour se sépare de la nuit, quelques cynocéphales mécontents lorgnent souvent méchamment le cortège qui passe tout en surveillant les chiens indécis qui hésitent à charger sans l’ordre explicite des maîtres. Certains de ces singes babouins, costauds et gaillards, se tiennent debout, torses bombés dans une position de provocation, mais que certains chiens, pour ne pas se fatiguer et surtout pour ne pas prendre de risque de se blesser, font semblant de ne pas voir.
Arrivée au lac, et après les retrouvailles inter-villages où quelques jeunes ventent leurs exploits de l’année passée, les quelques trois cents pêcheurs venus des différents villages, dans un silence d’enterrement, attendent le signal du départ donné par le « Kharégoumé » le gardien de l’étang. Les plus jeunes deviennent tout excités de voir devant eux s’étaler pour la première fois la mare écartée, volumineuse, aux eaux dormantes. L’eau qui n’est pas bleue, mais plutôt verdâtre, calme et vaste, présente une surface parfaitement plane et horizontale d’où émergent parfois quelques poissons qui cherchent à se frayer un chemin parmi le tapis de nénuphars. Ces créatures lestes, frétillent, miroitent fébrilement le rubis de leurs écailles pour ensuite s’immerger dans les fraîches et troubles profondeurs où les attendent le limon et l’alluvion riches en nutriments.
Une fois le signal de démarrage de la pêche donné, tous se rue dans l’eau avec leurs outils de pêche. Entre cabrioles de tilapias, galipettes de machoirons, courbettes de silures et culbutes de poissons chats, les pêcheurs raclent toute la journée les bas-fonds de la mare, où les poissons se mêlent aux batraciens, se faufilent entre les reptiles, à travers un amas de nénuphars étalés, de cactus submergés et de talus inondés par une eau qui devient progressivement trouble et boueuse sous les mouvements des centaines de pieds nus.
Golmy n’khâré n’est pas le seul étang de la région. Il y a Saballé sur la rive sénégalaise, Kénéssou qui symboliquement appartient au village de Diogoutouro, Nabenné (corne de taureau) dont la légende raconte qu’il a été creusé par deux taureaux qui se battaient du lever du soleil jusqu’à son coucher et que leurs cornes à travers les différents efforts de charges ont fini par creuser un trou qui s’est élargi au fil des saisons pluvieuses.
Ce sont des lacs qui sont exploités de manière collective, c'est-à-dire par plusieurs villages environnants en même temps. D’avril à juillet, en fonction des saisons, on peut renouveler plusieurs fois les « cérémonies » de la pêche et se retrouver à chaque fois pour certaines familles entre cinquante et cent kilos de poissons frais d’eau douce.
C’est une occasion merveilleuse qui offre nécessairement aux populations soninkés de cette région, une ressource alimentaire régulière et abondante mais en même temps, une opportunité de rencontres entre différents parents établis de part et d’autres du fleuve Sénégal.
SOUAIBOU FOFANA.
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