MAKANDAL, Marron Nègre Haïtien
Par guyzoducamer,
1779. Le bateau négrier accoste sur le quai de Cap Haïti au nord du pays.
Parmi les deux cents esclaves partis de Guinée, dans la lointaine Afrique, seuls quarante arrivent. Les autres sont morts durant la traversée et ont été jetés aux requins. Parmi les survivants se trouve Makandal, un noir mandingue au corps sculptural et à la voix grave, que les chaînes ne semblent pas blesser. Lors de la vente aux enchères, un monsieur propriétaire de plantations de canne à sucre l’achète.
Makandal coupe la canne à sucre comme personne d’autre, mais il perd un bras dans le moulin et commence à s’occuper du bétail. Il commence à se sentir inutile. La nostalgie de sa terre et de son peuple l’envahit, et la peine occupe sa pensée. Cependant, il ne se laisse pas vaincre, se confie aux dieux noirs et trouve une raison de vivre dans l’observation de la nature. Il connait ainsi de nombreuses plantes, différentes de celles de son coin de pays, mais aussi instructives qu’elles. Ce sont des plantes rares, auxquelles personne d’autre n’a prêté attention jusque là. Il découvre un champignon qui rend malade et peut tuer... Et il le donne à manger au chien de Monsieur. Et tandis qu’il le regarde s‘effondrer, Makandal a en tête la souffrance de son peuple...
Un jour il disparait de la propriété: on ne le trouve pas dans la cour des vaches, ni dans la cuisine, et encore moins dans grande baraque ou dorment les esclaves. Il n’est nul part. "Makandal est un mandingue, et chaque mandingue est un rebelle. Il s’est désormais fait nègre marron et celui qui le rencontrera devra m’en informer ", crie le français à ses esclaves.
Arrive la saison des pluies : les fleuves et les ruisseaux augmentent de volume et débordent de leur lit, mais Makandal ne donne aucun signe de vie. La saison des pluies passe et les fleuves retrouvent leurs lits...
Un jour, l’esclave Tinoel qui croyait que son ami était mort reçoit un message: "J’envoie te chercher, car notre temps est venu, le temps des nègres. Nous n’avons pas d’armes, mais nous possédons la sagesse de Run le guerrier, et l’intelligence du grand Oxosse". En quelques semaines, le champignon vénéneux envahit les étables et les pâturages. Vaches, bœufs, chevaux et brebis tombent par centaines, couvrant la région de l’odeur de charogne. La peste ne tarde pas à pénétrer la maison de l’homme blanc. Makandal proclame la "campagne de l’extermination " pour la création "d’un empire de noirs libres".
Soldats et contremaîtres se lancent à sa chasse...ils fouillent tous les recoins, mais ne le trouvent pas. Pourtant les yeux de ses frères le voient partout: "Il porte le costume des animaux-disent-il-, s’approprie du cours des fleuves, parle par la bouche du vent, connait chaque arbre, chaque caverne...".
Son épopée dure quatre années durant lesquelles il est transformé en lézard, en cobra, en oiseau ou toute autre bestiole. Quatre années pendant lesquelles il sort de ses cachettes pour assister aux rites durant lesquels les dieux africains sont vénérés.
Arrive le mois de décembre, période de festivités nègres à Haïti.
Après le tambour sacré surgit la silhouette de Makandal. Personne ne le salue, mais son regard affectueux rencontre celui de chacune des personnes présentes et les bols d’eau chaude passent de mains en mains jusqu’à celles du visiteur assoiffé.
Toute la joie ambiante fait même oublier à tout ce monde que les blancs sont toujours là, et que la trahison reste possible... Et vingt soldats l’emportent devant le regard étonné des ses frères. Le chant triste des tambours résonne depuis le fleuve Artibonite jusqu’à l’île de la Tortue. Sur la place centrale, tut est prêt: les autorités sont confortablement installées dans l’église, et les esclaves sont près du bûcher, obligés par leurs maîtres de voir le "feu de l’exemple".
Makandal parle avec Oxosse et Run: "Grands dieux de mon peuple, je vous demande de me laisser rester dans ce monde, pour poursuivre la lutte pour mon peuple ".
Les flammes commencent à monter sur ses pieds; Makandal pousse un cri, ses liens se défont et son corps s’étire dans les airs, sautant par-dessus la multitude qui observe. Puis il disparait. Les prêtres noirs font passer le message : "Makandal est resté parmi nous, dans le règne de ce monde ".
Drapeau de la Première république noire d'Amérique
Les indépendantistes qui déclarent la "Première République Noire du continent " en 1789 s’inspirent de lui, ainsi que les paysans guérilleros que résisteront à l’occupation nord américaine de l’île en 1915. Aujourd’hui, lorsqu’une révolte populaire éclate, dans les taudis et les plantations de café, on peut entendre certaines voix qui chantent : "Ici marche le manchot parmi son peuple. Ici marche le mandingue, qui est resté dans ce monde. Ici marche Makandal...".
Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga
Rebeliones Indígenas y Negras en América Latina ©Kintto Lucas 1ª edición, Ediciones Abya Yala, 1992, 2ª edición, Ediciones Abya Yala, 1997 3ª edición, Ediciones Abya Yala, 2000 4ª edición, Quincenario Tintají, 2004
Kintto Lucas est écrivain et journaliste né à Salto, Uruguay. Prix Latino américain de Journnalisme José Martí 1990. Plume de la Dignité 2004 octroyé par l'Union Nationale des Journalistes de l'Équateur. En Uruguay, il fut membre du Consejo Editorial del Semanario Mate Amargo. Il vit depuis 1992 à Quito ou il a été Éditeur Culturel et Éditorialiste du journal Hoy et éditeur da Revista Chasqui, en plus d'avoir chroniqueur dans les journaux El Comercio de Quito et Expreso de Guayaquil.
Il est actuellement correspondant de l'Agence de Presse Inter Press Service (IPS) et directeur du bimensuel Tintají de Quito. Certains des livres écrits par lui : La rebelión de los indios, traduit vers l'anglais avec le titre We Will Not Dance on Our Grandparent's Tombs. Indigenous uprisings in Ecuador (Nus ne danserons pas sur les tombes de nos grands parents : rebellions indigènes en Équateur ); Rebeliones indígenas y negras en América Latina; Mujeres del siglo XX, Apuntes sobre fútbol, Plan Colombia, La paz armada y El movimiento indígena y las acrobacias del coronel.
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