Marine Le Pen joue l’intox. Et ça marche. En dénonçant les prières dans la rue, elle agite les peurs et convertit à sa foi "nationale" de nombreux naïfs. Mais de quoi parle-t-elle au juste ? Décryptage. Marine Le Pen n’a eu de cesse depuis plusieurs mois de pointer du doigt « l’occupation » des Musulmans par la « visibilité conquérante » des prières dans la rue. Mais qui peut croire que prier l’hiver à même le trottoir est une partie de plaisir ? En fait, Le Pen relaie une polémique née sur le web et relayée par des sites d’extrême-droite ou s’approchant, comme celui de Français de Souche ou Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Qui ont pointé du bras droit le quartier de Barbès à Paris (18ème), habitée par de nombreux musulmans en manque de lieux de prière. Et si la candidate à la présidence du Front National parle aussi de Toulouse, les causes ont là aussi les mêmes effets. Des lieux de culte insuffisants. Exemple typique à Marseille où une grande mosquée est d’ailleurs en construction et devrait interrompre les prières externes.
L’ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes, Daniel Vaillant, maire du 18ème, est monté au créneau sans réagir directement aux propos de Le Pen. Il a expliqué au micro de France Inter pourquoi les musulmans de son arrondissement prient dans la rue. « Il y a dans le 18ème, et notamment dans le quartier de la Goutte d’Or, une présence assez nombreuse de femmes et d’hommes fidèles musulmans qui veulent prier et que ni la mosquée privée de la rue Myrha, ni la mosquée actuelle de la rue Polonceau ne peuvent accueillir dignement. Voilà pourquoi les gens prient dans la rue, ce qui est tout à fait choquant ! ». Conscient du problème depuis quelques années, la mairie de Paris a financé la construction d’un double édifice culturel dont une partie sera vendue comme lieu de culte. Un montage compliqué qui selon Vaillant prend en compte les lois sur la laïcité. Mais problème ultime, cet espace suffira-t-il ? Rien n’est moins sûr. Pour l’heure, on affiche ses intentions.
« Je n’ai pas voulu demander au préfet de police dont c’est la responsabilité d’interdire aux musulmans » de prier dans la rue parce que c’était le risque d’échauffourées, a-t-il dit. « Je préfère une solution transitoire insatisfaisante » mais « après, bien évidemment, quand les deux lieux de culte seront construits et livrés, il est hors de question que la prière dans la rue puisse continuer », a-t-il conclu.
Joint au téléphone par Bakchich, Miche Neyreneuf, adjoint du maire à l’urbanisme explique que la mairie, associée à la préfecture de Paris, « veille sur l’encadrement sécuritaire lors des prières du vendredi. On veille aussi à ce que la circulation des voitures et des personnes soient facilitées. Quant au projet des deux lieux de culte, les choses avancent, les permis de construire sont déposés. »
Bakchich, l’année dernière, avait rendu compte du problème. Enquête Article du 11 janvier 2010
Munis d’un tapis ou d’un simple carton, des fidèles courent. Il est déjà 13h15, la prière sainte du vendredi a commencé depuis quinze minutes. Plus de place à la mosquée Al Fath, rue Polonceau ni à celle de la rue Mirha dans le quartier de la Goutte d’or (18ème arrondissement) à Paris. Les croyants s’installent face à la mosquée ou à même le trottoir. Chaussures en contrebas, les croyants prient malgré le froid. A genoux, ils se prosternent en signe de soumission à Allah. Des sonos au volume minimum relaient la prêche en arabe de l’imam.
Trois routes sont bloquées par un service se sécurité de la mosquée, la circulation est perturbée mais l’ordre semble régner. Brassard sécurité orange autour du bras, les bénévoles veillent à laisser libre le passage aux piétons. Combien de fidèles ? Difficile à dire, peut-être mille ou plus à s’entasser autour des deux mosquées. 13h35, la prière est terminée, chacun retourne à ses occupations. Des ouvriers repartent sur leurs chantiers, les boutiques ouvrent à nouveau et les restaurateurs s’apprêtent à servir de nombreux repas pour des fidèles frigorifiés.
Depuis les années 2000, chaque vendredi, les rues de la Goutte d’or se tournent vers la Mecque, faute de place. Depuis plus d’une décennie, l’Islam fait recette alors que les deux mosquées dans cette zone du 18ème sont relativement petites (1000 personnes). Perte notable, la mosquée de la rue Tanger a fermé et tarde à trouver des financements pour se reconstruire. Les autres lieux sont soit bondés, soit trop éloignés.
Si le manque de mosquées est une problématique nationale, la France laïque peut-elle permettre que les trottoirs servent à la prière chaque semaine ? Il n’y a pas de réponse absolue en la matière. Normalement, les autorités religieuses doivent demander une autorisation de manifestation à la Préfecture de police. Ce qu’elle s’abstient de faire.
Depuis des années s’applique une tolérance de la police vis-à-vis de la Goutte d’or. Mais avec le temps, le phénomène s’amplifie ainsi que les critiques des riverains qui se plaignent des nuisances sonores ou de ne pouvoir rentrer ou sortir de chez eux au moment de la prière. Des efforts semblent avoir été faits.
Que dit la Constitution ?
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (art. 10).
La loi de 1905 précise qu’en France, selon l’article 27, c’est le maire qui donne les autorisations : « Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont réglées en conformité de l’article 97 du Code de l’administration communale ». Excepté à Paris où depuis la Révolution de 1789, cette compétence revient entièrement à la Préfecture de police. Bakchich a contacté la Préfecture pour comprendre comment était géré le problème, s’ils avaient donné des autorisations ou non, s’ils avaient reçu des plaintes, etc… « Notre seule réponse est de ne pas fournir de commentaires… » selon le service de communication. Malaise à peine dissimulé… Merci, bonsoir.
Des réponses et des accusations, les ultra-laïcs ou fachos en tout genre ne se gênent pas, eux, pour en donner. Sur la toile, les tribunes se multiplient, dénonçant « le péril islamiste », « les territoires perdus de la République ». Même le parti Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan s’y est mis.
Filmant tranquille les croyants à la dérobée, le cameraman se fait alpaguer par ces derniers qui lui répètent qu’il n’a pas le droit de les filmer, même dans un espace public. Remarque tout à fait justifiée au regard du droit à l’image. Et lui leur répond, sans en être tout à fait sûr « et vous, vous avez le droit de… » prier dans la rue, veut-il certainement ajouter avant d’être coupé. En fait, le droit, ils ne l’ont pas vraiment mais l’interdiction, ils ne l’ont pas non plus. Entre les deux, le flou règne en maître.
Côté politique, on joue l’indignation. Le maire du 18ème, l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant, déclarait en mars dernier : « Le spectacle de ces centaines de fidèles priant chaque vendredi, dans la rue, est affligeant. Défenseur depuis toujours de la laïcité, je ne peux me satisfaire de cet islam des caves ». Sous l’impulsion de Bertrand Delanoë, désireux de créer un espace culturel musulman à Paris, la mairie de 18ème a initié un projet, l’Institut des Cultures d’Islam (ICI).
Projet à double objectif : créer un lieu culturel musulman incluant les cultures arabiques mais aussi africaines ou asiatiques. Et permettre aussi la création d’un lieu de culte en vendant à peu près 1000 m2 d’espace (sur les 4000 au total) pour huit millions d’euros à des investisseurs ou des mécènes. « Un système conforme à la loi de 1905 a été pensé » selon Michel Neyreneuf, adjoint du maire à l’urbanisme. « La promotion immobilière est prévue sous la forme d’une Vente en l’Etat Futur d’Achèvement (VEFA ) ». Selon Vaillant, « L’Institut des Cultures d’Islam devra donc permettre aux croyants de pratiquer leur culte dans un lieu digne et clos, la prière dans la rue ne pouvant plus, désormais, être tolérée. » Tel est le deal, confirmé par la mosquée Al Fath : on vous aide à édifier des espaces cultuels en vous facilitant leur achat et leur construction, mais en contrepartie, on arrête la prière dans la rue dès que les bâtiments sont opérationnels.
Les premiers espaces seront disponibles en 2012 si tout va bien. Entre-temps, il va falloir gérer. « On a créé cet Institut pour se donner les moyens de reprendre la main sur un problème analyse M.Neyreneuf mais je suis inquiet, notamment face à l’attitude de la police qui ne fait pas son travail. C’est elle qui devrait gérer la sécurité des lieux, pas les services internes des mosquées. On n’est pas à l’abri d’un accident ou d’un drame. C’est pourquoi M. Vaillant a demandé à rencontrer le Préfet de police. » Neyreneuf est aussi inquiet de quelques dérives. « Par deux fois, à ma connaissance, des militants pro-palestiniens ont branché une sono et ont lancé des appels politiques. Ce genre de phénomène est à redouter et on veille à ce que les mosquées fassent attention mais encore une fois, c’est le devoir de la police. »
« On veille à ce que tout se passe bien », rassure Moussa Diakité, responsable de la mosquée Al Fath. « Pour nous, le respect de la France c’est très important. Liberté, égalité, fraternité », martèle-t-il dans un grand sourire. Seul bémol, il n’est pas sûr que l’ICI suffise à accueillir tout le monde. Intuition confirmée par Neyreneuf, « la réflexion sur la capacité date de deux ans, on pensait que 2000 places suffiraient mais entre-temps le nombre des fidèles a augmenté. Mais notre devoir, conformément à la loi de 1905, n’est pas de subvenir à tous les besoins cultuels des groupes religieux. Nous apportons un coup de pouce afin d’apporter une meilleure qualité de vie pour les riverains musulmans ou non-musulmans mais si les places venaient à manquer, c’est à la communauté musulmane d’apporter des solutions. »
ANTHONY, Bakchich