A la suite de la Table Ronde pour la Mauritanie à Bruxelles en juin 2010, le Quotidien de Nouakchott recueillait dans une interview exclusive les impressions d’un des participants Idrissa M. Diabira, un franco-mauritanien Directeur-Associé du cabinet Interface Africa.
Il nous faisait alors part de son optimisme pour le développement économique de la Mauritanie et en appelait au « temps de l’action ». Nous l’avons retrouvé près de 6 mois plus tard dans l’action, mais à Nouakchott cette fois, en plein montage d’une « opération » économique et sociale : Taxi Zeina. Son optimisme d’alors a-t-il résisté à la réalité mauritanienne ? Sans langue de bois, il nous répond.
Alors M. Diabira, quelques mois après la Table Ronde avez-vous pu concrétiser un projet ici ?
(Sourires) Vous savez… parmi les qualités qu’on nous connait, ne figure pas celle de la précipitation. Et c’est heureux pour notre crédibilité comme pour les projets que nous concevons.
Où en êtes-vous alors dans vos projets ?
Un projet ou une opération, digne de ce nom, répond à des étapes incontournables notamment : l’identification du secteur d’intervention, la conception technique et financière, la définition des règles de gestion, les mandats et partenariats, les échanges pour l’amender, la recherche d’accord de financement, le financement à proprement parlé et enfin, la mise en œuvre.
Interface Africa s’est spécialisé dans la conception, la mise en œuvre d’opérations complexes et surtout dans la levée de fonds afin de ne pas tomber dans le dramatique paradoxe africain : presque tout manque, presque tout reste à faire dans beaucoup de secteurs, mais au final… presque rien n’est fait.
A quel secteur vous êtes vous donc attaqué et quelle opération mettez-vous en œuvre ?
Nous avons attaqué en priorité celui du transport urbain de personnes via les taxis. Le besoin et la volonté d’acteurs clés - les chauffeurs, la Communauté Urbaine de Nouakchott - sont là. Nous disposons aussi d’une solide expérience dans l’analyse et la mise en œuvre d’opérations réussies de renouvellement de taxis dans la sous-région. Ce qui nous a permis de réunir les principales conditions pour qu’une opération de ce type puisse voir le jour prochainement à Nouakchott.
Comment avez-vous fait ?
Notre démarche est de toujours partir de la base, en lien étroit avec les chauffeurs eux-mêmes. J’ai ainsi personnellement passé plusieurs semaines, quasiment nuit et jour, avec eux pour les connaître et comprendre leur mode de fonctionnement, leur organisation, la logique économique de leur activité, leurs difficultés, leurs idées ou leurs aspirations. En gros, être en mesure de faire le profil-type du taximan mauritanien moyen.
A partir de cette réalité et avec eux, je répète avec eux et non pas pour eux – l’infantilisation est une insulte – nous avons conceptualisé et construit l’opération baptisée Taxi Zeina®. Elle devrait permettre à 600 chauffeurs en activité, d’accéder à des véhicules neufs, d’en devenir les propriétaires et de disposer d’un véritable statut d’artisan – taxi.
Votre opération a-t-elle un lien avec le projet de taxis iraniens de l’Etat du début de l’année ?
Aucun. D’autant que l’Etat, m’a précisé le Ministre des Transports, a décidé de se focaliser exclusivement sur le transport collectif de personnes. C’est une excellente décision.
… pourquoi « une excellente décision » ?
Ce projet taxi n’était pas viable, ou s’il l’était ce n’est pas pour les chauffeurs. Au mieux, ils auraient été des salariés sans perspective. Au pire, on aurait ajouté à leur précarité un endettement sans fin, comme au Sénégal. Là-bas, le type de véhicule – essence et le même que celui prévu ici – et son coût sont totalement inadaptés à l’activité d’un taximan moyen.
Enfin, je pense que l’Etat a suffisamment à faire d’implanter un transport efficace et bon marché. Celui-ci peut difficilement être autre que collectif et la puissance publique est indispensable. La mise en circulation récente par la Société de Transport Public (STP) de bus urbain l’illustre bien. Mais le transport individuel a une logique économique et d’investissements autres, il peut normalement se passer de l’argent public.
Mais n’y a-t-il pas alors un risque de laisser les taximen et les usagers face à l’avidité des privés ?
Cela dépend entièrement de la conception de l’opération. Qu’est-ce qu’on veut ? Résoudre le problème du transport ou faire une plus value financière ? En renforçant un groupe professionnel, en œuvrant à un véritable statut d’artisan-taxi, d’auto-entrepreneur propriétaire de leur véhicule en bon état, on opte pour une autre priorité : aider des hommes à vivre dignement de leur métier en sortant de la précarité grâce à leurs propres efforts et à une organisation fondée sur la solidarité et le professionnalisme.
C’est toujours possible dans des groupes homogènes. On lutte ainsi effectivement contre la pauvreté et, bien entendu, on veille à ce que chacun trouve son compte les investisseurs, les autorités en charge du transport et de son amélioration, les usagers.
Il y a alors complémentarité entre transport public collectif et transport privé individuel tout en respectant le statut le plus efficace et courant monde pour les taxis – sauf peut-être en Corée du nord– celui d’artisan-taxi.
L’Etat n’a pas pu mobiliser les banques, pourquoi pensez-vous réussir là où il a échoué ?
Nous c’est notre métier, notre opération fournit toutes les garanties. Nous en a avons même définit de nouvelles, propres à la Mauritanie et à l’organisation de ses chauffeurs comme la double caution solidaire, l’incitation au résultat des chefs de groupes ou la caution d’avance. Au Mali l’impayé après plus d’un an est de 0%, nous visons le même objectif ici car les fonds du projet sont privés.
L’éventuel défaut de paiement à la fin de l’opération pourra aussi être en partie couvert via une garantie sur le prêt global, sur le modèle proposé par certains bailleurs. Nous finalisons l’outil avec l’appui d’un de nos partenaires le courtier en assurance Gras Savoye Mauritanie.
Et cela suffira-t-il pour que les banques commerciales deviennent vraiment citoyennes ? Qu’elles aident les pauvres et appuient le développement de la Mauritanie ?
Ça, je vous le dirais bientôt… Mais je reconnais qu’il y a un vrai défi à ce que les banques s’impliquent plus dans des projets sociaux à côté du financement de l’achat/vente de riz, de ciment ou de sucre. Beaucoup pensent que les pauvres ne sont pas rentables, c’est totalement faux et la micro finance depuis plus de 20 ans l’a démontré.
On généralise la pauvreté alors qu’elle a de multiples visages. La plupart des pauvres, urbains ou paysans, ont une activité, un métier. Ils travaillent énormément et sérieusement mais ils ne bénéficient d’aucun appui pour les sortir de la précarité.
Souvent les projets faits pour eux ne sont pas rentables économiquement et pire favorise l’assistanat. Je comprends donc la crainte de banques pour ces personnes à risque qu’elles connaissent peu et pour ceux, comme nous, qui les appuient. Mais je déplore que certaines confondent trop vite crainte avec fuite devant le moindre risque.
Un « bon » banquier est aussi un financier dont la capacité n’est pas de fuir le risque, mais de savoir le gérer. Nous, notre compétence est là : concevoir des projets d’envergure avec les garanties couvrant les risques qu’un banquier doit gérer. Et croyez-moi, quand les échanges sont intellectuellement honnêtes, on convainc quelques banques… même en Mauritanie.
Mais l’Etat n’a-t-il pas de rôle à jouer pour encourager cela ?
Vous avez absolument raison. Car pour ne rien faciliter le pays ne compte ni banque de solidarité ni fonds de garantie de l’Etat couvrant les banques privés pour ce type d’opération et de public, contrairement à la plupart des pays voisins. L’Etat doit impérativement combler ce manque c’est indispensable pour décliner le slogan « Président des pauvres » en des activités économiques rentables pour ces derniers.
J’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec les conseillers économique et aux affaires sociales du Président de la République ainsi qu’avec les Ministres du Commerce et de l’Artisanat et celui de l’Emploi dans le cadre de mes échanges sur l’opération Taxi Zeina. Outre leurs grandes disponibilités, ils ont une conscience aiguë de la question.
Ils pensent aussi que notre opération, innovante dans sa conception, ferait « jurisprudence » en Mauritanie, le défi n’en est que plus exaltant. Une seule question importante demeure : est-il réalisable sans ces aménagements bancaires et financiers, qui tôt ou tard devront voir le jour ? Nous le pensons malgré le contexte particulier, et nous avançons avec rythme et détermination depuis le début, en août dernier seulement. Et nous irons le plus loin possible et nous honorerons la confiance placée en nous par de très nombreux chauffeurs.
Propos recueillis par Khalilou Diagana