Jean-Christophe Rufin viré par Abdoulaye Wade
La vie des ambassadeurs nommés “au tour extérieur”, c’est-à-dire par le fait du prince, n’est jamais un long fleuve tranquille. Ils sont généralement l’objet de la vindicte des diplomates de carrière qui voient ainsi leur échapper quelques postes prestigieux et bien rémunérés au profit de personnalités que le locataire l’Elysée tient à remercier pour services rendus à la patrie, et accessoirement à lui-même.
La pratique n’est pas nouvelle. Ainsi, Philippe Berthelot secrétaire général du Quai d’Orsay sous la IIIème République avait une formule toute prête lorsqu’un ministre ou un président du Conseil lui proposait un de ses protégés pour un poste d’ambassadeur : “Si c’est un homme d’une envergure et d’une intelligence exceptionnelle, je l’accueille bien volontiers. Mais si c’est un médiocre, j’ai tout ce qu’il me faut dans cette maison…”. Il paraît que cette boutade évita quelques nominations de complaisance par le pouvoir politique.
La vie des ambassadeurs nommés “au tour extérieur”, c’est-à-dire par le fait du prince, n’est jamais un long fleuve tranquille. Ils sont généralement l’objet de la vindicte des diplomates de carrière qui voient ainsi leur échapper quelques postes prestigieux et bien rémunérés au profit de personnalités que le locataire l’Elysée tient à remercier pour services rendus à la patrie, et accessoirement à lui-même.
La pratique n’est pas nouvelle. Ainsi, Philippe Berthelot secrétaire général du Quai d’Orsay sous la IIIème République avait une formule toute prête lorsqu’un ministre ou un président du Conseil lui proposait un de ses protégés pour un poste d’ambassadeur : “Si c’est un homme d’une envergure et d’une intelligence exceptionnelle, je l’accueille bien volontiers. Mais si c’est un médiocre, j’ai tout ce qu’il me faut dans cette maison…”. Il paraît que cette boutade évita quelques nominations de complaisance par le pouvoir politique.
En dressant le bilan de ce type de nominations depuis 1981, il faut bien constater qu’il est pour le moins contrasté. Quelques hommes nommés par François Mitterrand s’en sont tirés avec les honneurs : Gilles Martinet fut un grand ambassadeur à Rome, et François-Régis Bastide assuma fort honorablement des missions qui lui furent confiées à Copenhague et à Vienne. On ne peut en dire autant de Georges Vinson, un médecin ami personnel de Mitterrand qui se fit prendre la main dans le sac à faire copier par des habiles faussaires thaïs le mobilier authentique XVIIIème de l’ambassade de Bangkok pour se l’approprier, et laisser les copies à son successeur.
Eric Rouleau ne relève pas de la catégorie de ces escrocs primitifs, encore qu’il ait laissé de cuisants souvenirs dans les services financiers du Quai obligés de subir les foucades immobilières dispendieuses de ce protégé du président. L’ancien journaliste au Monde fut ainsi nommé en 1985 ambassadeur à Tunis en raison de ses liens étroits avec Yasser Arafat, qui s’était établi en Tunisie après son expulsion du Liban, et avec Mouammar Kadhafi1 avec lequel Paris était en délicatesse depuis l’incendie de l’ambassade de France à Tripoli et du saccage du centre culturel de Benghazi en 1980. Pour résumer, son activité était plus celle d’un ambassadeur de l’OLP et de la Libye auprès de la France que l’inverse, et sa familiarité avec les potentats arabes se doublait d’une détestation viscérale d’Israël, qu’il pratique encore aujourd’hui dans les colonnes du Monde diplomatique.
Jean-Christophe Rufin fait partie de la fournée des ambassadeurs non professionnels nommés par Nicolas Sarkozy, avec le journaliste et écrivain Daniel Rondeau à Malte et le journaliste Roger Auque en Erythrée.
Homme aux multiples talents, médecin de formation, diplômé de Sciences-Po, il s’engage dans l’action humanitaire à Médecins sans frontières, où il côtoie Bernard Kouchner et Claude Malhuret, au cabinet duquel il appartient lorsque ce dernier fut nommé secrétaire d’Etat à l’action humanitaire dans le gouvernement Chirac en 1986, avant de rejoindre celui du ministre de la défense François Léotard. Il fut également directeur d’Action contre la faim (ACF) et en plus romancier à succès (prix Goncourt), académicien français en 2008. Avant sa nomination, en juin 2007, comme ambassadeur à Dakar, il résidait la plupart du temps à Saint Nicolas de Véroce en Haute-Savoie et il m’arrivait de le croiser dans mes alpages à moi, en route vers une escalade dans le massif du Bargy. Même un Philippe Berthelot aurait été obligé de s’incliner devant ce palmarès qui qualifiait indiscutablement Rufin pour représenter la France dans le pays de feu Léopold Sedar Senghor.
L’ambassadeur victime des mœurs politiques françafricaines
Celui qui occupe aujourd’hui le fauteuil présidentiel du chantre de la négritude, l’octogénaire Abdoulaye Wade, n’a pas tardé à prendre ombrage des analyses sans concessions de Rufin sur le mode de gouvernance du président sénégalais : corruption généralisée, népotisme visant à préparer l’accession de son fils Karim à la charge suprême, dépenses pharaoniques alors que le peuple vit dans la misère. Ces remarques étaient transmises au Quai par la voie habituelle des télégrammes diplomatiques chiffrés, censés rester confidentiels jusqu’à leur ouverture aux chercheurs au bout de quelques décennies. Mais outre la tare originelle de sa non-appartenance à la Carrière, Rufin s’était mis à dos la “rue arabe” du Quai d’Orsay, ces diplomates acquis aux thèses palestiniennes dans le conflit du Proche-Orient. Ces derniers n’avaient pas digéré son rapport de 2004 sur la montée de l’antisémitisme sous le masque de l’antisionisme des banlieues. Il s’était d’ailleurs fait remonter les bretelles dans Le Monde diplomatique pour avoir osé affirmer que l’autorité palestinienne de Yasser Arafat n’était pas étrangère au déclenchement de la deuxième Intifada en octobre 2000…Alors, ce qui devait arriver arriva, et la “rue arabe” utilisa son canal habituel de délation, Claude Angéli et Le Canard enchaîné, pour révéler publiquement le contenu des télégrammes de Rufin. Cela fait maintenant plus d’un an que Wade, soutenu par l’homme d’affaires libanais Robert Bourgi, intermédiaire patenté des relations entre l’Elysée et les potentats africains cherchaient à obtenir la tête de Rufin. Ils ont fini par obtenir gain de cause, et même par suggérer à Sarkozy le nom de son successeur, Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Congo-Brazzaville, où il avait, semble-t-il, donné toute satisfaction au despote éclairé au pétrole Denis Sassou-Nguesso…
Tout s’est donc passé selon les désirs d’Abdoulaye Wade, que je ne manquerais pas d’aller consulter si l’envie me prend d’aller pantoufler dans une ambassade africaine avant de devenir définitivement gâteux. Cet homme semble avoir le bras long pour ce qui est du piston, et ce n’est qu’un bref mauvais moment à passer que d’aller lui baiser les babouches.
En hommage à la regrettée Geneviève Tabouis qui traînait ses oreilles dans les chancelleries pour prophétiser tous les jours sur Radio-Luxembourg, “Attendez-vous à savoir” que Jean-Christophe ne Rufin ne va pas se contenter de bouder devant la cheminée de son chalet haut-savoyard, mais qu’il est bien décidé à parler publiquement de mœurs politiques franco-africaines. On est tout ouïe.
1. L’épouse d’Eric Rouleau, Rosie, aujourd’hui décédée, était la photographe personnelle de Kadhafi.
Source : causeur.fr
Eric Rouleau ne relève pas de la catégorie de ces escrocs primitifs, encore qu’il ait laissé de cuisants souvenirs dans les services financiers du Quai obligés de subir les foucades immobilières dispendieuses de ce protégé du président. L’ancien journaliste au Monde fut ainsi nommé en 1985 ambassadeur à Tunis en raison de ses liens étroits avec Yasser Arafat, qui s’était établi en Tunisie après son expulsion du Liban, et avec Mouammar Kadhafi1 avec lequel Paris était en délicatesse depuis l’incendie de l’ambassade de France à Tripoli et du saccage du centre culturel de Benghazi en 1980. Pour résumer, son activité était plus celle d’un ambassadeur de l’OLP et de la Libye auprès de la France que l’inverse, et sa familiarité avec les potentats arabes se doublait d’une détestation viscérale d’Israël, qu’il pratique encore aujourd’hui dans les colonnes du Monde diplomatique.
Jean-Christophe Rufin fait partie de la fournée des ambassadeurs non professionnels nommés par Nicolas Sarkozy, avec le journaliste et écrivain Daniel Rondeau à Malte et le journaliste Roger Auque en Erythrée.
Homme aux multiples talents, médecin de formation, diplômé de Sciences-Po, il s’engage dans l’action humanitaire à Médecins sans frontières, où il côtoie Bernard Kouchner et Claude Malhuret, au cabinet duquel il appartient lorsque ce dernier fut nommé secrétaire d’Etat à l’action humanitaire dans le gouvernement Chirac en 1986, avant de rejoindre celui du ministre de la défense François Léotard. Il fut également directeur d’Action contre la faim (ACF) et en plus romancier à succès (prix Goncourt), académicien français en 2008. Avant sa nomination, en juin 2007, comme ambassadeur à Dakar, il résidait la plupart du temps à Saint Nicolas de Véroce en Haute-Savoie et il m’arrivait de le croiser dans mes alpages à moi, en route vers une escalade dans le massif du Bargy. Même un Philippe Berthelot aurait été obligé de s’incliner devant ce palmarès qui qualifiait indiscutablement Rufin pour représenter la France dans le pays de feu Léopold Sedar Senghor.
L’ambassadeur victime des mœurs politiques françafricaines
Celui qui occupe aujourd’hui le fauteuil présidentiel du chantre de la négritude, l’octogénaire Abdoulaye Wade, n’a pas tardé à prendre ombrage des analyses sans concessions de Rufin sur le mode de gouvernance du président sénégalais : corruption généralisée, népotisme visant à préparer l’accession de son fils Karim à la charge suprême, dépenses pharaoniques alors que le peuple vit dans la misère. Ces remarques étaient transmises au Quai par la voie habituelle des télégrammes diplomatiques chiffrés, censés rester confidentiels jusqu’à leur ouverture aux chercheurs au bout de quelques décennies. Mais outre la tare originelle de sa non-appartenance à la Carrière, Rufin s’était mis à dos la “rue arabe” du Quai d’Orsay, ces diplomates acquis aux thèses palestiniennes dans le conflit du Proche-Orient. Ces derniers n’avaient pas digéré son rapport de 2004 sur la montée de l’antisémitisme sous le masque de l’antisionisme des banlieues. Il s’était d’ailleurs fait remonter les bretelles dans Le Monde diplomatique pour avoir osé affirmer que l’autorité palestinienne de Yasser Arafat n’était pas étrangère au déclenchement de la deuxième Intifada en octobre 2000…Alors, ce qui devait arriver arriva, et la “rue arabe” utilisa son canal habituel de délation, Claude Angéli et Le Canard enchaîné, pour révéler publiquement le contenu des télégrammes de Rufin. Cela fait maintenant plus d’un an que Wade, soutenu par l’homme d’affaires libanais Robert Bourgi, intermédiaire patenté des relations entre l’Elysée et les potentats africains cherchaient à obtenir la tête de Rufin. Ils ont fini par obtenir gain de cause, et même par suggérer à Sarkozy le nom de son successeur, Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Congo-Brazzaville, où il avait, semble-t-il, donné toute satisfaction au despote éclairé au pétrole Denis Sassou-Nguesso…
Tout s’est donc passé selon les désirs d’Abdoulaye Wade, que je ne manquerais pas d’aller consulter si l’envie me prend d’aller pantoufler dans une ambassade africaine avant de devenir définitivement gâteux. Cet homme semble avoir le bras long pour ce qui est du piston, et ce n’est qu’un bref mauvais moment à passer que d’aller lui baiser les babouches.
En hommage à la regrettée Geneviève Tabouis qui traînait ses oreilles dans les chancelleries pour prophétiser tous les jours sur Radio-Luxembourg, “Attendez-vous à savoir” que Jean-Christophe ne Rufin ne va pas se contenter de bouder devant la cheminée de son chalet haut-savoyard, mais qu’il est bien décidé à parler publiquement de mœurs politiques franco-africaines. On est tout ouïe.
1. L’épouse d’Eric Rouleau, Rosie, aujourd’hui décédée, était la photographe personnelle de Kadhafi.
Source : causeur.fr