Les tontines, appelées en bambara «Pari» ou «Ton» restent les banques favorites des femmes. Grand-mères, mères et jeunes filles de tous les âges, de toutes les catégories socioprofessionnelles y contribuent. Les ménagères sont nombreuses dans notre pays à animer ces caisses de solidarité de proximité.
Généralement instituée au sein d’une association ou regroupement de femmes, la tontine est un système dans lequel chaque femme cotise à une date régulière. Le capital (monétaire ou non monétaire) ainsi constitué est redistribué à tour de rôle aux membres. La tontine est généralement fondée sur une base fédératrice. Elle rassemble les personnes de la même famille, du même secteur d’activité, de la même catégorie socioprofessionnelle, de la même origine géographique, ou du lieu de résidence. Les employées d’une grande entreprise privée, par exemple, se réunissent en association. Ailleurs dix ou quinze petites commerçantes d’un marché de quartier "cotisent" 500 ou 1000 Fcfa par jour. Les apports sont collectés par l’une d'elles jouant le rôle de trésorière.
UN PHENOMENE DE SOCIETE
À la fin de la journée, de la semaine ou du mois, l’heureuse récipiendaire se verra en possession d’un pécule qui lui permettra d’agrandir son fonds de commerce, d’acquérir des biens de consommation. On verra des mères de famille se réunir en "tontines de biens". Ici la cotisation est un pagne, un drap, ou tout autre ustensile fixé de commun accord. La tontine est devenue un phénomène de société. Toutes sortes de biens matériels peuvent faire l'objet de tontine. À tour de rôle, ces femmes s’offrent des savons de lessive, de l’huile de cuisson, du sel ou tout autre article.
La septuagénaire, Mme Diallo Awa Dia, est nostalgique des tontines du temps de sa jeunesse. «À notre époque, notre tontine consistait à travailler dans les champs de chacun. Nous cotisions également des fruits de nos jardins et de nos champs. Chaque dimanche, chaque membre apportait un morceau de savon traditionnel à celle dont c'était le tour d'en bénéficier. Les bandes de cotonnades servaient aussi de base à la tontine. La récipiendaire en tirait des couvertures. Au bon vieux temps, on ne connaissait pas l’argent», témoigne la septuagénaire.
Les épargnantes adhèrent au système financier informel dans le but d’atteindre un objectif clair et bien déterminé. Elles souhaitent réaliser un projet financier, une activité génératrice de revenus ou une activité d’utilité sociale à la fin du cycle de la tontine sans recourir au crédit. La tontine, en favorisant l’épargne des femmes, met en place les bases d’une économie solidaire.
Des étudiantes n’hésiteront pas à cotiser 500 à 1000 Fcfa par jour, pendant une période donnée pour s’offrir des fournitures scolaires et des habits. Dans le milieu rural, au moment des semences ou des récoltes, des paysannes iront, selon un cycle préétabli, dans le champ de l’une ou de l’autre effectuer un travail collectif. Des citadines originaires du même village se réuniront pour créer des «associations de développement». Ces collectes d’argent ou de pagnes constituent le fondement solide des épargnes journalières ou mensuelles.
LES GROS BONNETS DE LA CAPITALE
Les tontines génèrent des revenus pour les paysannes et les femmes à faible bourse. Mais elles prennent un autre sens pour les «gros bonnets». Pour cette catégorie supérieure, la tontine est une affaire de gros sous. La contribution de chaque adhérente varie entre 50 000, 100.000 jusqu’à 250.000 Fcfa par mois.
La présidente de la tontine de femmes commerçantes qui fréquentent l’axe Bamako-Dubaï est Mme Doucouré Habi Bathily. Son association compte une quarantaine d’adhérentes. Chaque dernier samedi du mois, les adhérentes se réunissent chez un membre pour verser 100.000 Fcfa par personne. À l’occasion de chaque rencontre, un repas copieux est préparé en l’honneur des hôtes. Ces «gros bonnets» animent leur tontine depuis une dizaine d’années. Et le groupe se développe au fil des ans.
«À chaque rencontre, la collecte mensuelle atteint 5 millions de Fcfa, de quoi renforcer son commerce. Nous profitons aussi de ces rencontres pour échanger sur notre activité commune. Nous nous donnons des conseils sur nos vies de couple», témoigne Mme Doucouré Habi Bathily qui révèle que les recettes des tontines constituent des fonds qui aident beaucoup de femmes à faire face aux dépenses des cérémonies de réjouissances sociales. Même si elles ne sont pas fortunées, elles peuvent dépenser sans compter au cours d'une assemblée. Ainsi beaucoup demandent à recevoir les recettes de la tontine quand elles ont des baptêmes ou des mariages. «Nous sommes facilement remarquables dans la foule, nous sommes applaudies, enviées, jalousées. Nous distribuons des billets de banque, des bijoux sont offerts aux griots», se vante notre interlocutrice.
Le témoignage de Mme Diallo Awa N’Diaye est édifiant. Elle était trésorière d'une grande tontine qui vient d'arrêter de fonctionner. Elle soutient que les «tontines de gros-bonnets» sont des cercles de gaspillage d’argent. Elle est fière de son statut de simple secrétaire de direction. «Nous cotisons chaque mois 50.000 Fcfa. Quand les soi-disant gros-bonnets reçoivent la cagnotte "bonjour les dégâts". Il devient difficile pour nous autres qui suivent de recevoir notre argent difficilement gagné et cotisé. Je me suis donc retiré du groupe. Car, moi je voulais tout simplement économiser pour m’acheter une maison», déplore la jeune femme.
«PUS DE TONTINES CHEZ MOI»
Les hommes émettent des points de vue multiples face à tous les préjugés autour des tontines. Ils sont massivement contre. Le fonctionnaire, Mohamed Diarra a accepté de témoigner. «Il y a deux ans, confesse-t-il, ma femme était présidente d’une tontine. Chaque dimanche un groupe de femmes envahissait la maison. Impossible de dormir dans sa chambre à cause du bruit des discussions. Parfois éclataient des bagarres agrémentées d’injures. Chaque dimanche depuis 12 heures, je quittais ma maison et ne revenais qu’à 22 heures. Un jour, j’ai eu ras-le-bol de cette situation. J’ai appelé ma femme et je lui ai demandé de choisir entre son époux et sa tontine. Je ne veux plus de tontine chez moi». Le groupe de femmes se transporta ailleurs.
Le commerçant Karamoko Sylla déteste les tontines. Il accuse son épouse de ponctionner les frais de condiments pour payer sa cotisation de tontine. «Ma femme ne travaille pas, elle n'est pas commerçante, alors comment fait-elle pour payer ces multiples tontines ? En plus, pendant ces rencontres, les adhérentes se bourrent les têtes de mensonges et de mauvais conseils», soutient le mari énervé.
Beaucoup d'époux déplorent les rentrées tardives de leurs femmes et les heures improductives consacrées à leur tontine. Certaines se réunissent à 16 heures et ne rentrent à la maison qu'au petit soir. Cette inconscience cause des frictions dans de nombreux couples.
La tontine est une bonne expression de la solidarité entre les femmes. Elles réalisent nombre de désirs sans importuner leur époux. Mais, il faut corriger certains facteurs pour gagner l'indulgence des époux.
Doussou DJIR, L'ESSOR.