Une idée bien répandue voudrait que les Noirs, d’une manière générale et l’Afrique d’une manière particulière, n’aient été qu’un réservoir où on puisait à volonté des esclaves. La réalité est toute autre. Le peuple noir est lui-même le fondateur de l’Humanité depuis les hominidés à nos jours. Il a peuplé le monde connu. Du néandertalien à l’homo erectus, il était là. Défiant la nature, semant la vie partout. Si Africains rime avec Noirs c’est parce qu’ils y constituent le grand nombre. Les negritos ont peuplé tout le sud-est asiatique. Des confins du golfe de Bengale aux Philippines. Ces semblables aux pygmés et génétiquement proches des boschimans, à la peau noire couleur ébène, sont les premiers asiatiques bien avant les peuples aux yeux bridés que sont les Chinois, Coréens et Japonais. Ils vivent encore de chasse à l’arc et de cueillette.
Si la loi du nombre des derniers siècles n’en fait plus une majorité dans le continent, il n’en demeure pas moins qu’en Asie, les Noirs sont aussi bien chez eux qu’ils le sont en Afrique. Une continuité démographique et géographique en fait un cordon ininterrompu jouxtant les trois océans que sont l’Atlantique, l’Indien et le Pacifique avec un centre constitué par la péninsule arabique.
L’Afrique du Nord n’a jamais été en reste, comme le démontrent les nombreuses peintures rupestres qui nous montrent un Sahara humide habité par des populations, dont le type psychosomatique nous rappelle le berger peulh de nos jours. Ils sont le substrat du mystique peuple Guanche, habitants originels des îles Canaries et auteurs de ces multiples mini-pyramides. Sous différents noms, ils se répandent de l’Arabie à l’Atlantique. Appelé quelques fois Tekrour, Poulo, Fulbé, Fallatah (en Arabie), Wadabe, Bororo, Dialloubé, Bababé, ils sont nous-mêmes. Et nous sommes eux.
Toutefois, pour comprendre cela, il y a lieu de se départir de deux certitudes. La première est que les Africains font partie de la Négritude, mais ne sont pas toute la Négritude. La deuxième est que le noir couleur ébène est, certes, un noir. Mais cette couleur est bien nuancée chez d’autres parmi le peuple noir. Des métissages se sont faits et qui ont abouti à l’éclaircissement de la peau des berbères et des arabes. Ils sont dus très souvent à deux phénomènes qui sont conjugués. L’invasion barbare de l’Europe et qui se prolongeait à travers la Méditerranéen pour toucher nos côtes du Nord du continent et de la Péninsule arabique. L’autre phénomène est la proximité de la Perse ancienne et d’autres peuples indo-européens dont la proximité a eu un effet similaire. On peut en dire de même des Celtes.
Mais le royaume de Masinissa, comme celui de Numidie dans l’Algérie actuelle, étaient bien des royaumes noirs. Nos griots dépositaires de l’histoire orale renvoient certaines lignées princières à ce même Masinissa. Les Berbères du haut et moyen Atlas se font toujours appeler Lébou. Plus à l’est, l’Antique royaume des Garamantes, célèbre par ses chars tirés par des bœufs, dans la partie septentrionale de la Lybie actuelle, était entièrement noire alors qu’ils échangeaient des ambassadeurs avec l’empire romain. Il en est de même du Dafour à l’Est comme du Tekrour à l’ouest, sans oublier le Ouagadou, nom du célèbre empire du Ghana, dont l’un des vestiges toponymiques est la ville sénégalaise de Dagana. Ou Da Ghana fondée par les Bathily, famille royale soninké ayant régné à Kumbi Saleh, capitale de ce royaume.
Les Dynka, les Bantous, les Haoussas, les Yoruba, les Mandingues comme les Fulbe ont eu à créer çà et là des Etats à hauteur humaine. Le plus souvent autour de la filiation matrilinéaire, facteur de stabilité sociale. La problématique genre ayant été réglée avant l’heure.
Le peuple noir était ouvert sur le reste du monde. C’est ainsi qu’ils ont été les premiers judaïsant avec l’avènement de Ménélik, fils supposé de la reine de Saba ; donc prophète, parce que fils de prophète. La première communauté musulmane s’est constituée autour du Négus. Ce même pays, l’Abyssinie intégra le christianisme bien avant le fameux synode de Nifé qui a tranché entre les monophysistes et les polyphisistes.
Les langues sémites dont les plus célèbres sont l’araméen, l’hébreu et l’arabe ont, peut-être, eu comme protolangue le ghez, langue éthiopienne très proche du nubien ancien parlé à Louxor et à Thèbes. L’écriture n’est pas en reste, car le tigrinya, alphabet éthiopien, est une réalité qu’on retrouve dans les vestiges sabéens du Hidjaz et du Nadjd aux environs de Ryad où il est appelé alphabet samoudya La beauté de ces caractères jadis utilisés dans les palais est évoquée dans la Sourate du vendredi sous le nom de mousnad. Il s’agit d’hiéroglyphes sténographiés. Ainsi la première lettre A n’est que la schématisation de l’image du taureau, Athor ; la deuxième, le B, étant une représentation de l’enclos Bet (la maison). La troisième lettre, C, prononcée j, quant à elle, est une représentation du jamel (le chameau). Ce même mécanisme est repris par les alphabets grec et latin.
Autant dire que le peuple noir, ancêtre de l’Humanité, n’a jamais été un peuple d’esclaves, comme ce fut le cas pour les slaves habitant les Balkans. Ni de l’esclavage pratiqué banalement par les Chinois depuis des millénaires sur des yeux bridés comme eux. Ce qu’il en est, c’est une émigration volontaire à bord de navires portugais pour rallier le nouveau monde qui a créé un engouement pour ces vaillants travailleurs aux allures athlétiques au point que des pirateries se soient organisées le long de certaines côtes. Avec une ramification locale. Donnant, ainsi, naissance pendant des décennies, une courte période, pendant laquelle l’esclavage était partiellement pratiqué sur quelques habitants des côtes du continent noir. Un peuple dont la liberté est la première nature devenait partiellement et provisoirement esclavagisé pour des raisons relatives à la production du coton outre atlantique. Les habitants des côtes sénégalaises étaient, d’ailleurs, interdits d’esclavage ; car comme en attestent les documents, ils semaient la révolte partout pour que vive la liberté de l’homme noir.
Que les noirs se regardent fièrement en face d’un miroir. Eux que l’on imite sur les plages méditerranéennes comme sur les côtes pacifiques. Car, quoi qu’on dise, chercher à bronzer pour se faire beau, c’est simplement chercher à se faire noir un peu.
Avant de terminer, j’évoquerai ici une phrase qui se veut prémonitoire qu’un ami et frère se plaît à clamer dans son fameux Livre Vert : ‘Les Noirs domineront le monde’. Lui-même, Kadhafi, répète aux siens : ‘Si l’homme pouvait changer de peau, sans hésiter, je l’aurais fait pour devenir noir. Et noir comme la couleur de l’ébène.’ C’est pourquoi je formule un souhait d’une part pour dire que j’aimerai voir s’ériger l’Unesco du monde et de la culture noire. Comme l’Isesco et son pendant de la ligue arabe. L’autre chose est une demande faite à la France pour conjurer les effets pervers du discours de Sarkozy devant moi à Dakar. A l’instar de l’Institut du Monde Arabe, il y a lieu d’ériger l’Institut du Monde noir.
Ahmed Khalifa NIASSE Président du Présidium du Front des alliances patriotiques