Contribution de Soumaré Zakaria Demba.
Inal. Symbole du racisme et de la barbarie d’un régime génocidaire. Le 28 novembre 1990. Fête de l’indépendance. La Mauritanie venait d’avoir 30 ans. 28 militaires négro – mauritaniens furent pendus à Inal. C’était pour célébrer 30 ans de souveraineté ! Le régime de Taya avait ainsi atteint le degré le plus haut de l’oppression contre ses propres citoyens. Ce qui s’est passé à Inal n’est rien d’autre qu’un génocide. Un génocide dans la mesure les victimes ont été intentionnellement massacrées.
Ce terme a fait l’objet de réflexions après la Shoah. De ces réflexions en est sortie une série de définitions qui essaient différemment de cerner le contour du concept. En effet, le substantif « génocide » est un terme nouveau qui a fait son entrée dans le vocabulaire du droit international au lendemain de la seconde guerre mondiale, suite au massacre par les nazis allemands, des milliers de juifs à travers l’Europe. Le concept a été inventé et utilisé pour la première fois par un juriste polonais, Raphael Lemkin. Dans un ouvrage collectif intitulé Comprendre les génocides du XX siècle, sous la direction de B. Lefebvre et S. Ferhadjian on relève :
« Lors que le professeur Raphael Lemkin […] forge en 1944 le mot « génocide », à partir du mot grec « genos » (race, peuple) et du suffixe latin « -ide » (de ceadere, tuer), il répond à Winston Churchill qui avait parlé, à propos des horreurs perpétrées par les nazis en Europe orientales, d’un « crime sans nom » dépassant toute la puissance répressive des lois et coutumes de la guerre ».
Récompensant les efforts de Lemkin, la résolution 96 du 11 décembre 1946 de l’Assemblée générale des Nations unies individualise le crime de génocide en le définissant comme un « déni du droit à la vie des groupes humains » que ces « groupes sociaux, religieux, politiques et autres aient été détruits entièrement ou en partie ».
Il paraît donc clair, au regard de cet extrait, que le génocide est un crime contre les droits fondamentaux de l’être humain. Dans le même sens que Raphael Lemkin et les Nations unies, d’autres penseurs ont réfléchi sur ce crime, et en ont donné des définitions plus ou moins détaillées. Tandis que le juriste polonais Raphael Lemkin limite sa définition à la destruction « des bases de survie d’un groupe en tant que groupe », Lazare Ndayongeje, lui, élargit la sienne en affirmant que :
« Le génocide s’entend dans l’un quelconque des actes ci-après :
- Meurtre des membres d’un groupe ;
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ;
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- Des mesures entravant les naissances au sein du groupe ;
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe » .
Dans le même ordre d’idées, Piter Drost, professeur de droit d’origine néerlandaise, spécialiste des difficiles questions coloniales affectant le passé de son pays, définit le concept de génocide comme « la destruction physique […] des êtres humains en raison de leur appartenance à une collectivité humaine quelconque ».
Avec Helen Fein et son Accounting of génocide, on assiste à une approche résolument sociologique qui établit une typologie. L’auteur distingue entre génocide de développement (détruire des groupes qui font obstacle à un projet économique), génocide « despotique » (l’élimination d’une opposition réelle ou potentielle) et idéologiques (la destruction d’un groupe présenté comme un ennemi diabolique » ).
Ces définitions explorent des paramètres qui, on l’a vu, ne figurent pas dans la définition initiale donnée par Raphael Lemkin et les Nations unies. Le terme de génocide recouvre donc un champ sémantique vaste pouvant être élargi à divers domaines, comme la sociologie, l’histoire, la littérature, etc.
Il est ainsi intéressant, quand il s’agit de définir le génocide, de relever son caractère intentionnel et prémédité . L’intention et la préméditation sont inhérentes au projet génocidaire. Dans Le siècle des génocides, Bernard Brunetau affirme, en effet, que :
« Le degré d’intentionnalité est une variable décisive dans la mesure où c’est « l’intention » qui va différencier le génocide du massacre du temps de guerre et d’insurrection où opère une violence destructrice aveugle […] ».
De même, c’est le caractère intentionnel qui distingue un génocide, dont l’objectif premier est l’extermination préméditée d’un groupe ethnique, social, religieux, politique, etc. d’un crime contre l’humanité. Le passage suivant, extrait de Comprendre les génocides du XX siècle. Enseigner – comparer, éclaire davantage sur la distinction, si infime soit –elle, entre les deux concepts :
« Si le crime de génocide n’est pas destiné au départ à s’opposer à celui de crime contre l’humanité […], il sera de plus en plus clair au fil du temps que le crime contre l’humanité vise une population civile indifférenciée, quand celui défini par Lemkin cible un groupe déterminé. La séparation des deux incriminations, qui est inaugurée en 1946, est clairement maintenue jusqu’à aujourd’hui dans les instruments de justice internationale […] »). Catégorie de crime contre l’humanité, le génocide doit être perçu comme « le plus grave des crimes contre l’humanité ».
Il est donc nécessaire de connaitre cette différence, car elle permet de bien cerner les contours de ces deux crimes de masse. Dans le premier cas de figure (le génocide), les victimes sont donc clairement identifiées comme telles, en fonction de leur appartenance ethnique, géographique, religieuse ou politique ; alors que dans le deuxième (crime contre l’humanité) l’indentification de celles –ci en tant que telles n’à point d’importance, mais c’est surtout le caractère et l’ampleur des massacres des populations « indifférenciées » qui entrent en ligne de compte. Les auteurs des crimes contre l’humanité sont ainsi jugés en fonction de la violence , du nombre de victimes civiles (femmes, enfants, vieillards, etc.) et des dégâts commis. Le caractère intentionnel n’est nullement pris en compte. Ce genre de crimes relève plutôt de la violation des règles internationales de la guerre par l’usage excessif et disproportionné de la violence. Tandis que dans le cadre d’un génocide le nombre des dégâts (matériels et humains) a moins d’importance. Prononcer le mot génocide pour qualifier un massacre est par ailleurs beaucoup plus compliqué que d’utiliser le mot crime contre l’humanité pour parler des exactions .
La définition du concept de génocide, comme cela a été souligné, englobe un champ sémantique vaste. Les textes de fiction et les ouvrages critiques portant sur ce type de crime, qu’il s’agisse de la Shoah ou du Rwanda , donnent une série de définitions qui viennent s’ajouter à la liste de celles données par les spécialistes du droit international ou par les historiens qui ont développé une réflexion approfondie dans ce domaine. Ces définitions « individualisées », même si elles ne correspondent à aucune forme juridique, enrichissent tout de même le champ sémantique du terme de génocide qui, il est vrai, soulève chaque fois de nouvelles interrogations quant à sa délimitation. Ainsi, dans son ouvrage critique consacré aux récits du génocide, Michael Rinn souligne le caractère idéologique du projet génocidaire. Le génocide est pour lui l’aboutissement, le résultat inévitable d’un processus idéologique de haine, de rejet et d’exclusion qui conduit à l’extermination des populations ciblées : « nous pourrions objectivement considérer le génocide comme un processus d’extermination d’hommes qu’une idéologie criminelle avait déclaré hors norme. »
Ailleurs dans le même texte, il ajoute : « le génocide est le résultat d’une tentative d’une destruction totale ». Il est vrai que tout projet génocidaire, de la Shoah à celui des Tutsi en passant par celui des Cambodgiens, des Négro-mauritaniens et des Arméniens, vise avant tout l’anéantissement physique, psychologique et moral total du groupe ciblé.
Même si l’on peut constater une différence entre les sources de la définition du génocide, force est en effet de constater qu’elles concourent toutes à dégager le caractère « hors norme » de ce crime contre l’humanité . Les adjectifs et les substantifs utilisés par les uns et les autres pour en rendre compte témoignent de ce caractère « ultramondain », selon le terme de Michael Rinn, de cette tragédie qui défie la raison humaine. Dans Les Récits du génocide, l’auteur a recensé un certain nombre d’adjectifs qui viennent renforcer le champ sémantique du terme : « incompréhensible », « indicible », « inexprimable », « inconcevable », « inexplicable », « indescriptible », « étrange », « inénarrable », « inadmissible », « incommensurable », « innommable. » Ces adjectifs, par leur concision et leur pertinence, soulignent, en même temps qu’ils renforcent les définitions susmentionnées, la difficulté sinon la complexité de la définition du substantif de génocide.
Ce qui s’est passé en Mauritanie, à Inal, est plus qu’un crime contre l’humanité qui, on l’a vu, vise une population indifférenciée. Le XX siècle a connu quatre génocides (Arménie, Shoah, Cambodge, Rwanda) reconnus par la Communauté internationale. Or si nous nous référons aux définitions précitées, les massacres commis en Mauritanie (1987-1990) entrent également dans le cadre du crime génocidaire. Mais ce qui fait la particularité du génocide mauritanien, c’est qu’il est un génocide camouflé. Contrairement au Rwanda, entre le 6 avril et le 4 juillet 1994 où près d’un million de Tutsi avaient été atrocement massacrés par les Hutu, le génocide mauritanien n’a pas bénéficié d’une couverture médiatique internationale. Or au Rwanda, tous les jours, le monde entier assistait en direct aux massacres par l’intermédiaire des médias.
Mais dans tous les cas de figure, au Rwanda comme en Mauritanie, tout génocide obéit à une logique incontestable basée sur une idéologie de haine et de discrimination aboutissant sur une exclusion systématique du groupe –cible. Au Rwanda, comme en Mauritanie, le groupe visé par le régime génocidaire a subi une série d’agressions, de discrimination et d’exclusion dont l’objectif manifeste était l’élimination physique de tous les membres du groupe –cible. Au Rwanda, comme en Mauritanie, l’Etat était au centre de la solution finale. Mais à la différence du Rwanda, en Mauritanie, les populations civiles n’ont pas joué un rôle important dans le processus de la haine et des massacres. Au Rwanda, toute la population hutu (civils, militaires, tous âges confondus) avaient pris part aux massacres. Mais dans tous les cas de figure, les victimes étaient ciblées non pas par ce qu’elles font mais plutôt parce qu’elles sont (couleur de la peau en Mauritanie, Tutsi au Rwanda). Au Rwanda, les Hutu ont massacré les Tutsi (de 1959 à 1994) parce qu’ils étaient de tutsi. En Mauritanie, le régime de Taya a tué ses citoyens parce qu’ils étaient de Noirs. Mohamadou SY, dans son intervention lors d’une réunion de L’OCVIDH en octobre 2011, avait souligné que les Noirs ont été massacrés en Mauritanie non pas parce qu’ils étaient de Noirs, mais plutôt parce qu’ils étaient des non arabes. L’analyse de Monsieur SY est pertinente à plusieurs égards. Elle est pertinente dans la mesure où pendant l’épuration ethnique dont étaient victimes les militaires en Mauritanie, les Haratines étaient épargnés. Pourtant ils sont Noirs comme l’étaient Anne Dahirou, Wane Almamy de Toulel….Mais dans la conception génocidaire des bourreaux ils sont considérés comme Arabes…
Soumaré Zakaria Demba.