Aujourd’hui, happé par le train-train parisien, habitué des bureaux et autres commodités, mon esprit vogue vers l’Afrique. Cette Afrique tant chantée par l’écrivain David DIOP dans «Afrique mon Afrique ». Cette Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales revient dans mes pensées comme si elle voulait me faire une piqûre de rappel de mon héritage ancestral. Aujourd’hui, face à tous ces soubresauts dus aux migrations massives et les guerres fratricides, mon Afrique est peinte comme l’axe du mal. Ses fils ressemblent à des criquets pèlerins, indésirables partout, qui détruisent tout sur leur passage.
D’accord, il n’y a pas de métros dans mon Afrique. Oui, mon Afrique n’est pas New York où les buildings embrassent le ciel. C’est vrai que mon Afrique n’a pas les urgences hexagonales où le moindre « bobo » est pris en charge.
Quand je me réveille le matin pour faire comme mes hôtes du pays de Marianne, mon corps me suit. Mon esprit quant à lui joue au rebelle. Il ne cesse de voguer vers ce royaume paradisiaque que j’ai transformé en enfer. Oui, chaque enfant africain, séduit par le mirage d’une vie heureuse à l’occidental, est comptable de la décadence de notre Afrique. Je suis devenu éternel étranger. Etranger par ma propre faute ! Etranger à cause des institutions financières mondiales qui sucèrent le seul litre de sang que contenait le corps « Afrique ». Etranger par la faute de ces dictateurs africains, pilleurs de biens publics, vendeurs de rêves…
Quand cesserai-je de me plaindre, me dis-je ? Soudain, la célèbre phrase de Sarkozy, celui-là même qui me rappelle les lutins des contes de Grand-mère, vient chatouiller mes neurones : « S'il y en a que ça gênent d'être en France, je le dis avec le sourire mais avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas".
Ce n’est pas que je n’aime pas la France. J’abhorre juste ce qu’elle est devenue par la faute du capitalisme et des extrémistes de tout bord. Gamin, je rêvais de la France. Cette France où mon père tirait sa subsistance dans le respect et la dignité. Je rêvais de la Marine Marchande dont les photos décoraient les pans entiers de la concession familiale. Je rêvais du vieux port tant conté dans les récits du paternel. La tour Eiffel que je mirais dans les cartes postales reçues de parents établis dans l’hexagone. Maintenant que j’y réside, mon esprit me torture. Il me torture et me renvoie les images de ce royaume d’enfance que j’ai fui pour les horizons cléments. Ce royaume de valeurs qui est devenu l’empire des moeurs légères. Ce lieu de générosité, d’entraide, de partage qui est devenu le nid de l’égoïsme, de l’indifférence, de l’arrogance…
Mais, laissez-moi vous dire que je suis né dans une Afrique pauvre mais digne. Une Afrique de la chaleur humaine, de la joie où le matin on prenait le temps de se saluer comme si on venait de se croiser pour la première fois de la vie.
J’ai fait mes humanités dans une Afrique qui comptait encore sur la terre pour y tirer sa subsistance. Ces champs de maïs, de mil, de sorgho qui constituaient la fierté de tout patriarche. Ce travail de la terre avait un double rôle. Il permettait d’échapper à la dépendance alimentaire. Je revois encore ces greniers remplis d’épis de mil qui témoignaient de la richesse familiale. Point de famine car l’Afrique mangeait ce qu’il produisait. Cette Afrique n’avait que faire du « blé ». La bouillie matinale et les beignets traditionnels suffisaient au bonheur de tout un chacun. Cette Afrique ne fût point le carrefour alimentaire du monde où l’Européen ou le chinois déversait sa surproduction de blé ou de riz. Le ventre de cette Afrique n’avait pas perdu toute son indépendance alimentaire. Il ne fût ce carrefour alimentaire qu’elle est devenue. Le matin et le soir, elle mangeait sa production locale. Elle n’avait que faire de la baguette de pain. Cette Afrique n’avait point besoin du riz « Siam » car ses terres produisaient un riz encore plus noble et sain. Chaque maison familiale avait ses terres cultivables où mil, riz, maïs se faisaient des « clins d’oeil ».
Grâce aux travaux champêtres, on apprenait à l’enfant, dès son bas âge, la valeur « travail ». S’il n’était pas apte à porter le « Nike ». Cette marque que l’équipementier américain a volé aux forgerons d’Afrique. Le « nike » n’est rien d’autre que notre « daba » continentale. Le travail de la terre était fastidieux mais très formateur. Il inculque deux premières valeurs : la patience et la croyance. Qui est plus croyant que le paysan ? Celui-là même qui sème et attend que Dieu fasse don de pluie. Celui-là même qui courbe l’échine chaque jour dans un périmètre agricole sans aucune clôture, sous un soleil de plomb, sans se soucier des animaux sauvages. Point de 35 heures pour eux ! L’enfant apprenait deux choses : vivre à la sueur de son front et s’armer de patience. Par le travail de la terre, on apprenait également la valeur bravoure. Si 7 ans rimait avec innocence ailleurs, dans mon Afrique elle rimait avec responsabilité. C’est l’âge où l’on portait les premiers fardeaux. On accompagnait les adultes aux champs pour apprendre de la vie des hommes. Tantôt une « daba » d’un grand-frère sur l’épaule, tantôt un bidon d’eau fraiche du tonton à acheminer au lieu de culture. Si on était pas apte à ces tâches, on était affecté avec quelques camarades à la surveillance des animaux domestiques que l’on amenait paître aux alentours du champ familial.
Je pense encore à cette cohorte de libellules qui m’escortaient jusqu’aux périmètres agricoles. Je revois encore ces tourterelles maillées dont les cris me hérissaient le poil. Que dire de ces pigeons qui chantaient toute une litanie parce qu’ils n’ont ramassé aucune graine après les semences ! Je les revois encore ululer sur les arbres comme s’ils m’en voulaient d’avoir mis sous terre toutes les graines de mil. Le souvenir de la danse des écureuils remonte également à la surface. Cette même danse qui offrait un spectacle drôle et amusant quand le chien, compagnon d’expédition champêtre, coursait la famille de sciuridés. Je revois encore ce joli serpent blanc qui venait me rappeler que l’Afrique fût vierge. Que mon Afrique fût victime de son innocence ! Ces vipères, planquées dans les buissons de part et d’autre des sentiers, qui guettaient mes petites jambes. Souvent, bien posées sur les grands arbres qui longeaient mon chemin, elles sifflaient au dessus de ma tête comme si elles mettaient en garde contre tout excès de confiance dans cette brousse hostile. J’ai également le souvenir de ce boa malchanceux qui croisa notre chemin. Coincé par les herbes dans les eaux boueuses, il fût battu comme un tam-tam avant de terminer son périple dans la marmite. Et ces pauvres varans qui détalaient comme des Usaint Bolt pour échapper à notre gourmandise. C’est l’époque où nous avions signé nos premières 35 heures sans salaire. Pendant la surveillance des champs juste avant les récoltes, les jeunes passaient leurs journées aux champs pour dissuader animaux sauvages de venir se servir. Ils protégeaient également les épis de mil contre l’appétit vorace des pies. Ici, on apprenait l’indépendance, la bravoure. On convainquait également la peur. Sangliers, varans, renards, gazelles, lapins imploraient chaque matin « Dieu » pour ne pas croiser ces prédateurs que nous fûmes. Pendant ces pérégrinations champêtres, on en profitait également pour gagner de l’argent en fauchant de l’herbe pour aller le vendre aux éleveurs d’animaux domestiques. Souvent, on se contentait d’aller cueillir des fruits sauvages, des nénuphars pour aller les vendre à la sauvette. Ces petites économies servaient à s’acheter chaussures et des habits. Ceci permettait également de s’acheter de succulents mets. Ce qui ne voulait absolument dire que les parents nous avaient livrés à nous-même. On cherchait juste à prendre notre indépendance financière car nous étions déjà nourris et blanchis. Juste une façon de dire que chaque étape de la vie inculquait des valeurs intrinsèques dans mon Afrique. Certaines familles, pour mieux réussir cette étape, envoyaient même leurs enfants dans des contrées lointaines pour les « parfaire ». Ainsi, ils fréquentaient les écoles coraniques où ils apprenaient les valeurs respect, l’entraide et l’humilité. Ils étaient confiés à des maitres coraniques d’une moralité exemplaire. Ces maitres coraniques qui logeaient leur propre enfant à la même enseigne que leurs disciplines. Point de différence ! Point de mendicité ! C’était comme à l’armée : on vit ensemble, on meurt ensemble. On apprenait le respect et le droit d’ainesse. Laissez-moi vous conter cette anecdote ! « Dans les années 80, quand je faisais mes premiers pas à l’école coranique dirigée par mon grand-père maternel, je fus arraché à l’affection de ma grand-mère pour être logé à la même enseigne que mes camarades venus de lointains pays ( Mali, Gambie, Mauritanie…). Je dormais dans les mêmes conditions que ces autres camarades venus de lointains pays malgré qu’un lit douillet et propre soit libre dans la chambre de ma grand-mère. A l’époque, le confort d’un matelas était méconnu. On dormait sur des nattes faites à partir de peaux de moutons que l’on confectionnait lors de la Tabaski ( Aid el Kebir ). Lors du repas, au moment de couper un morceau de viande ou de poisson voire de légumes, on devait attendre que les plus âgés se soient servis en premier. C’était soit par ancienneté dans l’école coranique ou par âge. Ainsi, chacun attendait religieusement son tour pour savourer un morceau de viande ou de poisson. Qui dérogeait à cette règle se faisait fouetter lors des expéditions champêtres. En effet, on allait chercher quotidiennement du bois mort ou de l’herbe pour le beau cheval de mon grand-mère et les virils béliers de la concession familiale. On soldait les comptes par la même occasion. » A cette époque, il fallait avoir une conduite irréprochable en tout moment. Le respect des uns était primordial.
Oui, je veux conter cette Afrique des vertus. Cette Afrique où la pudeur, l’humilité, l’honnêteté étaient apprises sur la natte de grand-mère. Vieilles et édentées grand-mères à la mémoire incroyable ! Alzheimer les avait oubliées en grande majorité. Dépositaires des traditions séculaires et témoins du temps, elles avaient le don de montrer les défauts des uns et des autres à travers leurs contes. Leurs contes mettaient en garde contre plusieurs vices de la vie. Sous la claire lune, elles chatouillaient les fibres des coeurs par de belles histoires d’amour. Tantôt, c’était pour nous mettre en garde contre la femme, l’argent et le rejeton : trois belles choses qui peuvent concourir à la perte de tout homme. Tantôt pour fustiger les comportements de méchantes marâtres qui maltraitaient les orphelins ou les enfants d’autrui. Je me rappelle encore des lutins capricieux, du cheval boiteux, du bélier tout blanc, de la poule aux mille poussins. Ces « djins » qui nous guettaient dès que nous nous laissions charmer par le bruit des tam-tams. En effet, la nuit obscure « vomissait » toute sorte de djins maléfiques. Ainsi, après les séances de tam-tams sous la claire lune, on était pas à l’abri de quelques mésaventures.
Oui, je veux conter l’Afrique où l’on aidait son proche voisin dans l’obscurité de la nuit. Cette Afrique où tendre la main c’est sacrifier toute sa descendance. Cette Afrique où le fla-fla était honni. Quand on venait en aide à un voisin, on attendait que la cohorte de colporteurs soit prise en otage par Morphée pour glisser dans son grenier quelques sacs de riz ou autres condiments. C’est l’Afrique où le gosse de riche était logé à la même enseigne le rejeton du pauvre. C’est l’Afrique où on nous mettait en garde contre toute prétention car la richesse et la pauvreté étaient comme le jour et la nuit. Elles s’alternent. « Celui qui n’a pas traversé l'autre rive, ne se moque pas de celui qui se noie ». Un proverbe très connu en Afrique. Ainsi, quand un membre de la famille faisait fortune, c’est toute une famille ou tout un village entier qui devenait riche. L’égoïsme, cancer du coeur, était honni. Comme le dit l’adage : «Ne frappe pas à la porte d'un autre, si tu ne veux pas qu'on frappe à la tienne. »
Oui, je veux parler de cette Afrique où la maladie d’un proche était acceptée avec philosophie. Quand un membre de la famille perdait le « réseau divin », on remuait terre et ciel pour le garder parmi nous tant qu’il ne versait pas dans les agressions physiques. Il n’était point rejeté. On le maintenait parmi les «sains d’esprits» jusqu’à ce que Dieu en décide autrement. Dans cette Afrique, point de Sdf ! La famille avait un sens. Les liens du sang transcendaient toute sorte de difficulté.
Oui, je veux conter l’Afrique des principes. Cette Afrique où l’éducation de l’enfant incombe à toute la communauté. Comme le dit l’adage : « Il faut un village pour éduquer un enfant ». C’est l’époque où , à peine sorti de chez soi, on hélait le premier enfant que l’on croisait pour lui confier une mission. La seule condition tacite est de mettre ses enfants au même pied d’égalité que les enfants d’autrui. Tout adulte avait droit de regard sur l’enfant pour le laver de ses impuretés, de ses vices. Dans cet environnement, l’enfant se savait épier, surveiller…On le corrigeait quant il le fallait et on le chérissait quant il le méritait. Il était protégé dans tous les sens du terme. « L’enfant est de l’argile. Il prend toujours la forme qu’on lui donne » dit un proverbe Wolof. Cette organisation conférait ainsi plusieurs droits à l’enfant. Il pouvait entrer dans chaque maison sans gêne. Il pouvait s’épanouir dans chaque maison du voisinage sans être victime de maltraitance s’il avait bonne conduite. Ainsi, chaque enfant africain avait ses habitudes dans une maison voisine où il était bien « gâté ». C’est l’époque où par tranche d’âge, les maisons voisines servaient de dortoir, de lieu de détente pour les jeunes. Des liens fraternels se créaient. Des amitiés éternelles prenaient source. L’individualisme n’avait point de place. Dans cette Afrique que je conte, les portes des maisons étaient ouvertes. Point de gardiens ou de chiens méchants pour trier les visiteurs ! Ainsi, l’étranger était bien accueilli et honoré quelle que soit sa « gueule ».
Oui, je veux conter cette Afrique de la sincérité où la parole donnée vaut plus qu’une caution d’une banque cotée du CAC40. La parole était sacrée. “Mieux vaut se briser la jambe que briser sa parole » disait-on.
Dommage, cette Afrique a disparu par ma faute. Elle s’est envolée par mon insouciance et ma boulimie d’aventures. Elle n’est plus à cause de mon manque d’initiatives. Elle a tiré sa révérence depuis que j’ai opté pour le primat du savoir du livre sur le savoir de la vie. Elle a disparu depuis que j’ai répondu à l’appel de la course aux richesses. Elle s’est éclipsée depuis que j’ai négligé les liens du sang. Je devais continuer à être la sève nourricière de cette Afrique comme le furent mes ancêtres. Hélas, je me suis laissé séduire par les mirages d’autres horizons. J’ai perdu au change tel le dollar libérien. Pauvre enfant africain !
Samba KOITA dit Makalou, soninkara.com