Pape Diouf donne son sentiment sur l'affaire des quotas.
Un vrai micmac. Plus la désormais célèbre "affaire des quotas" est mise à jour, plus elle ressemble à un vrai sac de noeuds. Dernier rebondissement, la révélation de Mohammed Belkacemi, un cadre technique national chargé de défendre le football dans les quartiers, qui avoue avoir enregistré la fameuse réunion, point de départ de l'affaire. La FFF dans la tourmente, Laurent Blanc qui serait prêt à jeter l'éponge... Pape Diouf, ancien président de l'OM, analyse la situation tumultueuse qui bouleverse le football français.
Que vous inspire le scandale des quotas qui secoue le football français ?
Pape Diouf : Si le site qui a sorti cette affaire-là a un seul mérite, c’est d’avoir propulsé sur le devant de la scène un problème sous-jacent dont on avait fait l’économie, soit par commodité, soit par lâcheté, soit par simple désintérêt. Le vrai problème n’est pas de savoir comment Mediapart s’est procuré l’information. De toute façon, le propre du scoop, c’est d’avoir une gorge profonde. La question que je me pose, c’est pourquoi ce genre de question n’a jamais été soulevé alors qu’elle existe véritablement. Quelque part, je me suis presque réjoui que ce genre de choses soit aujourd’hui débattu.
- Cette histoire ne vous surprend pas ?
P.D. : Pas du tout. Je suis un peu désolé. Dans la France actuelle, parler de ce genre de chose n’est ni agréable, ni honorable.
- Quelle est l’origine du mal ?
P.D. : Il faut distinguer les choses et ne pas tomber dans la confusion d’aujourd’hui. Quand j’entends Jacques Rousselot, le président de Nancy, parler du régime de Vichy à propos de cette affaire-là, je me demande où l’on vit. Il ne faut quand même pas faire dans la diversion pour échapper à la vraie problématique.
- C’est-à-dire ?
P.D. : Deux choses ont été évoquées. Premièrement, le problème de la bi-nationalité. D’après les techniciens de la Fédération, nous formons des joueurs qui s’en vont par la suite jouer pour d’autres sélections. Si la nationalité sportive instituée par la Fifa existe, c’est parce que des gens ont abusé de manière éhontée des jeunes joueurs. En règle générale, on ne parle que d’Africains et de Maghrébins, et pas d’Obraniak qui va jouer pour la Pologne. Avant, des entraîneurs faisaient jouer des jeunes d’origine africaine en équipes de France pour leur couper toute possibilité de répondre à la convocation de leur pays d’origine. "On le garde sous le coude, il ne partira pas." Je connais certains de ces joueurs qui n’ont jamais pu avoir une carrière internationale pour avoir évolué en minimes ou cadets. Quand la Fifa s’est aperçue que cela était anormal, elle a changé les choses. Regardons les choses froidement et évoquons-les de la même manière : il n’y a pas un seul joueur noir ou maghrébin qui, se sentant désirer par ’léquipe de France A, a choisi son pays d’origine. Tous les joueurs qui évoluent dans les sélections de leur pays d’origine ont choisi cette option vers 25 ans en s’apercevant qu’ils ne seront jamais sélectionnés en équipe de France A. Lequel des 24 joueurs algériens aurait été appelé en sélection française ? Aucun. Aujourd’hui, on parle de Sow qui défend les couleurs du Sénégal. On oublie qu’avant d’être considéré comme un très bon joueur, Sow s’était retrouvé libre et n’intéressait que Lille ! On ne peut pas dire que l’on comptait beaucoup sur lui...
- Se voile-t-on la face ?
P.D. : Évidemment que c’est de l’hypocrisie ! C’est une manière de noyer le poisson. Aujourd’hui, un autre problème est soulevé. Dans ces discussions, la direction technique a tout à fait le droit de profiler les garçons de manière à diriger le foot vers un jeu plus chatoyant, plus léché, plus intelligent. Cela sous-entend que ce n’est pas les gros, les puissants et les grands qui pouvaient être intelligents. C’est plus que réducteur ! C’est triste d’arriver à ce constat. On a vite fait de relier ce type de joueur dont on ne peut plus à la présence des joueurs noirs dans le football national, oublions littéralement que la France de 1998 a pu compter sur des joueurs de ce gabarit-là avec Thuram, Desailly, Karembeu, Henry. On oublie surtout que le Brésil de 1970 qui reste l’une des plus belles équipes avait, à côté de Pelé, des joueurs dans ce format d’engagement; et l’une des plus équipes européennes, l’Ajax des années 1970 avec dans les buts Stuy, une armoire à glace, en défense Blankenburg et Hulshoff; au milieu, Neeskens, Haan et Mühren d’autres bulldozers. Arrêtons un peu avec ce genre d’arguments misérables.
- Le football français est-il raciste d’après vous ?
P.D. : Je veux manier les mots avec prudence. Je dis simplement que, de la même manière que la société française, le football français discrimine, c’est indiscutable. Il n’y a pas à la tête d’une société du Cac 40, ni à la tête d’un corps important de l’armée une personne issue de la diversité, qu’elle soit noire ou arabe. Il n’y en a pas non plus à la tête d’un ministère régalien, sauf quand on veut saupoudrer un peu ! Dans le foot, une fois leur carrière terminée, on ne voit pas les joueurs issus de cette diversité dans les instances ; ni dans les staffs administratifs et techniques, encore moins dans le management. Il y a quand même quelque chose qui ne va pas. Parmi ces joueurs-là, certains ont démontré une vraie capacité de réflexion, être comme leurs homologues blancs dans le milieu du foot. S’il y avait une proportion respectée comme le foot le revendique, certains dérapages n’auraient pas eu lieu. Je suis l’un des premiers à dire que Laurent Blanc n’est pas raciste, j’en suis quasiment convaincu pour connaître le garçon et avoir discuté avec lui. Ce n’est pas du tout ça le problème. Le problème, il se trouve dans un milieu où l’on peut déraper, sortir des maladresses ou des sottises. Ce qui me tue aujourd’hui, c’est ceux qui décrètent qui est raciste ou ne l’est pas. Cela me fait sourire. Arrêtons ce cinéma, cette crispation collective qui saisit le milieu du foot.
Autre idée reçue dont il faut tordre totalement le cou, celle qui avance que le foot français est le seul milieu où il y a de la diversité. évidemment quand coexistent des joueurs blancs, des Arabes et des noirs, c’est normal. Sans eux, aujourd’hui, la compétition ne serait plus du tout ce qu’elle est ! De la même manière qu’à une époque, l’industrie française avait besoin de main-d’œuvre. Celle-ci a permis d’édifier des immeubles, de développer l’industrie immobilière... Quand on n’en a plus eu besoin, on a su les mettre dans la marge. De la même manière qu’on met à la marge ces joueurs à la fin de leur carrière.
- Agent puis dirigeant de l’OM, avez-vous été confronté au racisme ?
P.D. : Pfff... Je préfère dissocier mon cas. J’ai eu cette formidable opportunité d’être président de l’OM pendant cinq ans, ce qui est un bail. Je suis presque une exception car j’ai pu diriger ce club dans des circonstances exceptionnelles. J’étais simplement une personne normale comme je l’ai toujours été. En dirigeant l’OM, je me suis aperçu que j’avais des forces et des faiblesses, que je n’avais rien d’un ovni. J’ai su me faire apprécier... Ça montre que, au départ, ce n’est pas le public qui rejette mais des préjugés. Ceux-ci tombent à partir du moment où le public s’aperçoit que ces préjugés ne tiennent pas. Je ne me suis jamais dit, c’est le noir face au blanc. Les supporters de l’OM ne m’ont jamais fait sentir ça.
- Et les dirigeants du monde du foot ?
P.D. : À partir du moment où Marseille, la première ville du foot français, a élu quelqu’un, montré son attachement à cette personne-là, cela faisait tomber tous les préjugés. Ayant été journaliste, j’avais montré que j’étais, comme disait Coluche, un mec normal. Je n’ai pas subi les assauts d’une forme de racisme. J’ai probablement suscité parfois envie, jalousie ou mesquinerie. C’est évident. L’extérieur ne m’intéressait pas.
- Laurent Blanc peut-il se lasser ? Doit-il démissionner ?
P.D. : Ce n’est pas mon propos de dire que Laurent Blanc doit démissionner pour une raison simple. Ce qui est essentiel dans cette affaire, c’est qu’elle ait été portée sur la place et qu’elle fasse prendre conscience à chacun d’une situation existante. On ne doit pas faire le procès individuel d’untel ou d’untel. Cette affaire ne vaut que parce qu’elle permet de déballer. On s’est aperçu de la frilosité du milieu du foot.
- Comment sortir de cette crise ?
P.D. : Il faut que le climat se pacifie. Une chose me paraît énorme et importante. Ne faisons pas du football une activité exemplaire, il ne peut pas l’être, dans une société qui elle-même ne l’est pas. Quand je pense France, je pense générosité, leçon au monde. Quand j’étais tout jeune, en Afrique, la France était presque le paradis terrestre. C’est elle qui doit revenir. Le football ira avec. On est obligé d’absorber les diversités. Quand vous avez Desailly, Thuram ou Zidane, les critères de sélection sont objectifs. Ce sont eux les meilleurs, on ne peut pas les laisser sur le bord de la route. Le rival va les prendre. Quand il faut choisir un directeur sportif ou un dirigeant, les lignes deviennent très floues.
Recueilli par Fabrice LAMPERTI, LAPROVENCE