INTERVIEW EXCLUSIVE - A quoi ressemble l'entraînement des Navy SEALS ? Réponses avec Stephen Templin, qui a survécu à la «Hell week»...
Dans la nuit de dimanche à lundi, des membres de la Team Six, un commando d'élite des Navy SEALS, ont logé une balle dans la tête de Ben Laden. Ce n'est pas la première fois que la CIA fait appel à ce groupe, dont l'existence-même est entourée de mystère.
En octobre 1993, 160 soldats américains se retrouvent pris au piège de la Bataille de Mogadiscio (relatée dans la Chute du Faucon noir). Au sein de cette joint task-force, se trouvent plusieurs membres de la Team Six, dont Howard E. Wasdin, un sniper qui reviendra de l'enfer somalien blessé aux deux jambes. Il raconte son expérience dans ses mémoires (*), rédigées à quatre mains avec Stephen Templin. Ex-membre de la Navy, Templin a traversé les épreuves de sélection des SEALs aux côtés de Wasdin. Il a survécu à la Hell week, la semaine la plus intense, avant d'opter pour une autre carrière. Pour 20minutes.fr, Stephen Templin apporte un éclairage sur cette unité aussi secrète que mythique. Où comment de simples hommes sont façonnés pour devenir l'élite du contreterrorisme américain.
Est-ce vrai que l'existence de la Team Six (ou Devgru) n'a jamais été reconnue par la Maison Blanche?
A ma connaissance, oui. La Maison Blanche n'a jamais officiellement confirmé son existence, même si j'ai déjà entendu des officiels du JSOC (Joint Special Operations Command, l'un des organes des opérations spéciales US, ndr) y faire référence publiquement.
En quoi consiste l'entraînement d'un Navy SEAL (SEa, Air, Land, pour mer, air, terre)?
Il faut être un homme, avoir entre 18 et 28 ans, et passer la présélection qui comprend des tests physiques et psychologiques, ainsi que des entretiens. Environ 1% des candidats sont retenus pour accéder à un programme de six mois: le BUD/S (Basic Underwater Demolition/SEAL). On y développe ses compétences physiques et mentales, perfectionne le maniement des armes dans des conditions extrêmes. On apprend notamment à mener une attaque depuis les airs, la terre, ou par une approche sous-marine. Le moment de vérité survient pendant la Hell week qui opère un tri implacable. Plus de 50% des candidats abandonne avant la fin de ces six jours.
Hell week, la «semaine des enfers»...?
Elle porte bien son nom. On traverse les épreuves avec une absence quasi totale de sommeil. Cinq ou six heures fractionnées, au maximum, sur l'ensemble de la semaine. A un certain moment, l'esprit divague. On commence à halluciner. Vos rêves et la réalité ne font plus qu'un. Et puis il y a le froid. On est mouillés, tout le temps ou presque. L'océan, glacial, aspire toute la chaleur de votre corps. Il y a quatre stades d'hypothermie. Au premier, on tremble un peu. Au deuxième, les tremblements sont plus violents, presque incontrôlables. Au troisième, le corps et l'esprit deviennent engourdis, insensibilisés.
Et le quatrième?
On meurt. Au cours de la Hell week, l'encadrement mesure la température de l'air et de l'eau pour tenter de nous emmener au 2e stade. Dans le groupe où j'étais avec Howard, un membre a atteint le 3e. Il a dû être emmené d'urgence à l'hôpital. Le but est de pousser les corps à la limite, pour être ensuite capable de faire face à n'importe quelles conditions. Tout individu possède une faiblesse. Les instructeurs vont la trouver et s'y accrocher, tels des requins qui flairent du sang.
C'est donc marche ou crève?
En partie, mais les instructeurs doivent être prudents. Quand vous passez le 3e jour, il n'y a en général que la mort qui pourrait vous faire abandonner.
Le challenge est-il plus mental que physique?
A un certain stade, les deux sont presque indissociables. Le mental contrôle tout. Avec Howard, on n'avait pas une condition physique hors du commun. On a pourtant vu des tri-athlètes ou des joueurs de football américain abandonner. Mais si vous allez au bout, la confiance en soi, en ses capacités à accomplir un acte dans les pires conditions fait toute la différence, au combat comme dans la vie de tous les jours. Et puis il y a le lien, quasi-familial avec ses camarades. Parmi eux, vous avez cinq ou six frères que vous connaissez intimement, comme personne, que vous avez vu nus; de corps et d'esprit.
Howard a ensuite rejoint la Team Six. Qu'a-t-elle de spécial?
C'est l'élite de l'élite. Une fois que vous êtes un SEAL, vous faites déjà partie d'un tout petit nombre. Vous pouvez ensuite candidater pour rejoindre la Team Six, ou on vient vous recruter. Vous repassez par un entraînement de plusieurs mois au sein de la Green Team. Ce que l'Etat major recherche et le processus exact restent secrets. Il faut en général déjà avoir eu une solide expérience côté combat, tactique et infiltration (certains, comme «Waz-Man», se spécialisent et deviennent, par exemple, un sniper, ndr). Vous menez ensuite les missions les plus périlleuses, notamment quand la CIA fait appel à vous.
A quel point l'opération pour éliminer Ben Laden, menée dans le plus grand secret, était risquée?
Des membres de la Delta Force (une autre unité d'élite) avec qui j'ai parlé l'ont qualifiée de mission «à très haut risque». Vous êtes dans un pays étranger, infiltrés, avec zéro coopération, sans connaître avec certitude le niveau de défense à l'intérieur de la résidence. Il y a tellement de paramètres incontrôlables qui auraient pu mal tourner.
Ses membres s'attendaient-ils vraiment à pouvoir capturer Ben Laden vivant?
Ce n'est que mon avis personnel, mais sans doute pas. Il était probable que Ben Laden refuse de se rendre. La Team 6 est entraînée pour pouvoir s'adapter au niveau de violence rencontré. Un peu comme un interrupteur, on ou off. Ben Laden n'est plus. Vous ne trouverez pas grand monde pour verser une larme, au moins aux Etats-Unis.
Pourquoi n'avez-vous pas continué avec les SEALs?
J'ai rejoint la Navy pour cela. Mais plus tard, au cours de l'entraînement, j'ai su dans mes tripes que ce n'était sans doute pas ma destinée, même si j'avais l'impression d'avoir le potentiel pour. Aujourd'hui, je suis enseignant au Japon et écrivain. Je termine actuellement mon doctorat. Je crois que c'est encore plus difficile que la Hell week.
Propos recueillis par Philippe Berry