Les récentes etudes ont montré que les routes de transit d'Algerie, de la Lybie sont plus meurtrieres que les bateaux vers l'Europe.
« Émigrer vers l’Europe, n’est-ce pas une prétention vaine ? Quel est le prix à payer pour tous ceux qui, malgré des barrières quasi infranchissables entre les deux zones du monde (Nord/Sud) osent braver le franchissement de tous les remparts ? Quelles sont les raisons fondamentales qui jettent tant d’individus, citoyens des pays du Sud ou de l’Est sur les routes de l’émigration ?, s’interrogeait Pierre Bamony, Doctorat d’Anthropologie Sociale et d’Ethnologie (Université Blaise Pascal - Clermont II - 2001). Mais vu ce qui se passe aujourd’hui à Kidal qui est devenu le purgatoire pour les rescapés des routes de l’eldorado imaginaire, on se rend évidemment compte de l’évidence de ses interrogations. En effet, des centaines de Sénégalais pris dans l’étau de l’émigration clandestine et ayant échappé aux prisons algériennes crient de toutes leurs pour que le président Abdoulaye Wade leur vienne en aide, non pas en affrétant des avions pour les ramener au bercail, mais simplement, en mettant à leur disposition, deux à trois camions pour les ramener au pays de la Teranga.
Retraçant un parcours déjà dressé par beaucoup de miraculés des mirages de l’eldorado européen, Ibrahima Sow, Historien et Chercheur de la Culture Pulaar qui se trouve actuellement à Kidal décrira « les difficultés rencontrées par les Africains, même en terre africaine noire, avant de s’en prendre à l’Occident et au Maghreb ». Selon lui, « en Mauritanie, c’est avec les carnet de vaccination que l’on vous prend votre argent à chaque poste de contrôle même si vous avez le carnet rouge acheté à Rosso ». Ce pays dépassé, dit-il, « le Mali vous reçoit avec « son bon français ». C’est-à-dire que vous devez donner 1000 F Cfa par poste de police même si vous avez vos pièces d’identité en règle. Mais le comble, ajoute-t-il, c’est quand après avoir avalé la poussière sur 1200 km entre Bamako et Gao, puis sur 400 autres km pour arriver à Kidal où tous les malheureux candidats à l’émigration se retrouvent pour devenir menuisiers, restaurateurs, peintres, tailleurs, réparateurs de téléphones portables, vous vous rendez compte de ce désastre social. Là, deux camps font face à face : les privilégiés qui avaient un métier comme cité plus haut et ceux qui n’ont pas cette chance qui deviennent des mendiants allant de maisons à maisons à travers la ville de Kidal « la rebelle » ». Toujours selon Sow : « Kidal est devenue une ville de réfugiés. On y rencontre des camps de Sénégalais, de Mauritaniens, de Ghanéens… Tous ceux qui ont perdu un frère ou un parent dans l’émigration clandestine peuvent les retrouver ici, s’ils ne sont pas morts ou en prison ».
« Des camions, des camions pour nous ramener au Sénégal… »
Après Sow, Cheikh Guèye, un sénégalais de Ouakam qui a laissé femme et enfants à Alger après avoir été refoulé à Tinzaouatine (Algérie) et qui a traverse pour se retrouver dans la ville du même nom, mais du côté malien raconte son malheur. Selon lui : « Arrivé à Tinzaouatine (Mali), j’ai poursuivi mon chemin dans le désert et les montagnes jusqu’à Kidal. Depuis lors, je me débrouille là. J’attends que mon épouse et mes enfants me retrouvent ici. Mais en vérité, c’est dur ici. Par les centaines de nos compatriotes, il y en a qui ont perdu la tête. Ils sont irrécupérables. Même ce soir, on m’a annoncé un nouveau fou et un mort du côté de la prison de Tamanrasset en Algérie parmi nos compatriotes. Entre Kidal et Dakar, c’est plus de 3000 Km, mais les gens seraient heureux de faire cette distance en camions si l’Etat du Sénégal décidait de nous venir en aide. Et il n’y a pas que des sénégalais, c’est toute l’Afrique noire qui est là. Beaucoup sachant qu’il faut au moins 70 000 F Cfa pour retourner à Dakar, alors qu’ils ont des difficultés à obtenir 10 000 F Cfa, préfèrent mettre cette somme entre les mains des passeurs pour retourner en Algérie et se démerder en attendant d’être pris et jetés en prison. Oui, les prisons algériennes sont des hubs pour émigrés clandestins perdus, car n’ayant pas pu arriver en Europe ou renvoyés du Maroc, de la Libye ou de l’Algérie ». Alors qu’il ne finit pas de narrer sa mésaventure, le vieux Cheikh Kébé qui se dit originaire de la rue 27 X Clémenceau à Dakar, plus exactement du site des Laobés, sis derrière « la maison de Mamadou Dia », actuellement Maison de la Culture Douta Seck, appelle de toutes ses forces le président Wade à les venir en aide. « Moi, je suis à Kidal depuis 18 ans, mais je n’ai pas vu autant de Sénégalais dans la promiscuité. Moi-même, j’ai 15 enfants. Nous vivons dans la plus grande misère. Je veux les ramener mais impossible, car je n’e ai pas les moyens. J’avais épousé une malienne de Gao qui est décédée. Aujourd’hui, je vis avec eux. J’aurais bien voulu revenir, mais… parmi nos compatriotes, il y a beaucoup de fous. J’ai appris qu’il y a également une femme qui vient de tomber dans la démence à Inhallil. Tout notre souhait est que le président Wade dans sa magnanimité envoie des camions nous récupérer, car quand on ne sait pas où l’on va, on doit retourner d’où l’on vient ».
Alassane DIALLO
Source: Sud Quotidien