Véritables blocs de béton, les foyers de travailleurs migrants peinent à s’intégrer dans la ville. Insalubres, ils sont prêts à craquer. Quant à leurs résidents, censés participer au développement du quartier, ils n’y côtoient jamais personne. Poussons la porte…« En deux ans, je n’ai jamais vu mes voisins de palier et je ne connais pas grand monde dans mon immeuble. Alors les résidents du foyer… » confie, sourire aux lèvres, cette habitante du quartier Gambetta (Paris XXe), à deux pas du foyer de travailleurs migrants (FTM) du Retrait. Idem pour cette jeune institutrice vivant depuis deux ans dans l’immeuble neuf d’à côté. Elle avoue « ne pas savoir grand-chose du foyer ». Manque de curiosité ? Il est vrai que vues de l’extérieur, ces bâtisses n’attirent pas spécialement, avec leurs façades sombres et délabrées, leurs fenêtres condamnées et leurs guirlandes de linge suspendu. Elles s’apparentent plutôt à des constructions de fortune qu’à des habitations dignes de ce nom. Même son de cloche du côté des migrants, pour qui la solidarité et le soutien s’expriment d’abord au sein du foyer.
Ballayéra est demandeur d’asile : en mal de papiers depuis 1986, originaire du Mali, ce résident du foyer de la rue des Mûriers affirme, légèrement dépité, « ne connaître personne dans le quartier et n’avoir aucun contact ». Fébrile dans son ensemble survêtement-casquette, il ajoute : « Je n’ai d’ailleurs pas plus envie que ça de connaître mes voisins ». Pourtant, comme l’explique Samba Sylla, du Groupe de recherche et de réalisation pour le développement rural (GRDR), « Le foyer fait partie de la ville et cette territorialité doit être prise en compte. Les résidents sont des consommateurs au même titre que leurs voisins, et participent donc au développement économique du quartier ». Fondé en 1969, le GRDR intervient auprès des étrangers en provenance du bassin du fleuve Sénégal et de la Casamance, principale source d’immigration subsaharienne en France. Il organise régulièrement des tables rondes et des expositions pour pallier ce manque d’échanges entre les résidents et les autres habitants des quartiers. Il s’agit de présenter aux Parisiens les activités, le mode de vie de ces migrants, ainsi que leur motivation principale : venir travailler en France pour gagner de l’argent, l’investir dans leur village d’origine et participer ainsi à son développement.
Barrière de la langue, peur des contrôles de papiers inopinés, poids du racisme ambiant côté migrants, incompréhension, rejet, voire dérive xénophobe côté habitants… la méconnaissance de l’autre entretient le déni d’exister. Sachant cela, M. Sylla juge ces actions du GRDR des plus « positives », dans la mesure où elles amorcent une détente dans les peurs réciproques.
« On encourage les résidents à ne pas se replier sur eux-mêmes. On leur explique que leurs voisins seront plus ouverts s’ils savent ce qu’ils font pour leurs villages. Je n’en veux pas aux gens du quartier, qui sont souvent encore plus distants entre eux qu’avec les résidents, car nous vivons dans une société terriblement individualiste. Et puisqu’ils sont minoritaires, ceux qui vivent dans les foyers doivent davantage faire l’effort de se mêler aux autres », poursuit Samba Sylla. Certes. (...)
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