Les pays africains font peu à peu leur entrée dans le marché mondial du carbone, grâce notamment aux Mécanismes de développement propres (MDP), mis en place dans le cadre du Protocole de Kyoto. Au Sénégal, plusieurs projets de ce type sont menés, à l’instar de la décharge de Mbeubeuss, où le méthane sera bientôt transformé en électricité. Un exemple de développement durable novateur dans un pays ou la production d’électricité reste dominé par le pétrole.
Les pieds s’enfoncent dans la boue noirâtre. Il a plu la veille. A la décharge de Mbeubeuss, située à vingt kilomètres de Dakar, l’eau est plutôt une bonne nouvelle. « Cela facilite la fermentation des déchets », indique Mbaye Ndiaye Mbodj. « Pendant l’hivernage, on produit beaucoup de méthane ».
Des bottes vertes au pied, ce récupérateur d’ordure arpente les moindres recoins de la décharge pour vérifier les émanations de gaz. « On a installé des tubes de PVC qui s’enfoncent jusqu’a 9 mètres de profondeur », lance-t-il juché sur une montagne de détritus ou s’entremêlent vieux bouts de tissus et carcasses de bidons au milieu des pousses de baobab. « Ils sont perforées et font remonter le gaz à la surface ». Avec précaution, Mbaye ôte un petit chapeau en plastique recouvert d’une pierre. « Regardez comme ça souffle fort ». Une odeur nauséabonde s’échappe du tuyau. Il sourit. « Ici, les ordures, on les appelle ‘or pur’ ».
Mbeubeuss (70 hectares) est la plus grande décharge à ciel ouvert du Sénégal. Chaque jour, 80% des résidus, produits par quelque 2 millions de personnes de Dakar et sa banlieue, viennent s’y entasser de manière anarchique. Dans les années 1980, l’endroit ne devait être qu’un lac à assécher. C’est finalement devenu un grand dépotoir, où plus de 800 personnes vivent aujourd’hui du tri et de la revente des détritus, dans des conditions sanitaires extrêmement précaires. D’après les dernières analyses, Mbeubeuss envoie chaque année quelque 160 000 tonnes de méthane directement dans l’atmosphère.
Pays en développement de plus en plus gros émetteurs GES
Mais la donne est en train de changer. La zone doit être réhabilitée. Elle va donc accueillir une centrale produisant de l’électricité à partir de la combustion du méthane. Le projet a démarré en 2006 et fait partie des Mécanismes de développement propres initiés par le protocole de Kyoto. Le but : inciter les pays en développement à lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (GES), grâce notamment à un partenariat Nord/Sud. Dans cette logique, les pays hôtes des projets bénéficient de transferts de technologies et de crédits carbone qu’ils peuvent revendre sur le marché mondial.
«En soi, le protocole de Kyoto n’est pas contraignant pour les pays africains », explique Madeleine Diouf-Sarr de la Direction de l’Environnement, « mais l’atmosphère est partagée par tous. Il est donc nécessaire que les efforts soient faits partout, surtout quand on voit la tendance actuelle ». D’après le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les pays en développement sont de plus en plus gros émetteurs de gaz à effet de serre.
« Vous avez vu c’est de l’or pur ! »
Au Sénégal, une dizaine de projets sont menés pour y remédier, tous pilotés par la direction de l’Environnement. Celui de Mbeubeuss est un des plus avancés. Il s’inspire du procédé de la décharge de Durban en Afrique du Sud. Carbon Reductions, une entreprise privée spécialisée dans la gestion des déchets a mis en place les dispositifs pour extraire le gaz, en lien avec l’association des récupérateurs de Mbeubeuss, Bokk Diom. « Les essais ont été menés à six endroits et sont concluants », se félicite Papa Mar Diallo, le coordonnateur de l’association, chargé des programmes sur le site. « Le choix de l’entreprise qui produira de l’électricité est en cours. Les travaux devraient démarrer d’ici six mois ». Pour la production à proprement parler, il faudra attendre au minimum deux ans. L’entreprise bénéficiera d’un crédit carbone important, une tonne de méthane ayant un potentiel de réchauffement climatique 300 fois supérieures à celui du CO2. Les deux à quatre mégaWatt d’électricité produits permettront, quant à eux, d’alimenter environ 2 000 foyers de la zone.
Sur place, les attentes sont importantes. « Cela va transformer l’image de la décharge et améliorer nos conditions de vie, il y aura des activités rentables, une place avec de la verdure. C’est une très bonne chose » s’enthousiasme Papa Mar Diallo. En contrebas des talus de déchets, des dizaines de camions bennes font leurs va-et-vient quotidiens. La route est creusée par de grandes ornières, les récupérateurs en haillons s’activent. « L’air est irrespirable, mais on s’habitue », lance Zidane, « vous avez vu, c’est de l’or pur ! ».
Source : RFI.fr