« La vraie sainteté sur la terre est de reconnaître Dieu dans toutes ses manifestations. », disait GOETHE. Hier, connus pour être des fervents animistes, les Soninkés constituent aujourd'hui une des populations les plus pieuses de l’Afrique Noire, voire d’Afrique tout court. Quand bien même, les Peuls désignent toujours les Soninkés par le pseudonyme "Ceddo", qui signifie mécréant, mauvais musulman, force est de noter que cette population s’identifie aujourd'hui dans sa totalité à l’Islam, religion qu’elle a largement diffusée, à travers ses Jula (marchands, commerçants), dans tout le Sahel. Les écoles coraniques et universités théologiques font légion à travers tout le pays soninké. Le Xaralenka ou Xaranyinbe (École coranique) et le Moyisi ont fleuri dans les quatre coins du pays Soninké. Du Gajaaga au Jafunu, du Gidimaxa au Kaarta en passant par le Hayire et le Jonboxu, les universités religieuses sont de renommée dans l'Afrique occidentale. Le Soninké généralement est pieux. On ne pointe jamais son nez dans un grand village Soninké sans voir au loin le minaret. Un vieux Soninké authentique se démarque toujours par son grand boubou, ses babouches, son bonnet et surtout par son chapelet. Sur le Kora (place publique du village), les devantures des mosquées, les boutiques faisant office de grande place, les Soninkés ne se séparent jamais de leur chapelet. Un signe de piété considérable. Ainsi, comme tous les musulmans du monde entier, le Soninké ne rate jamais l'occasion d'honorer ce pilier de l'islam qu'est le Ramadan appelé Sunxaso.
Le ramadan, également orthographié ramadhan ou ramazan (arabe : رَمَضَان ou Ramaḍān) est le neuvième mois du calendrier musulman. Le français emploie indifféremment le mot « ramadan » pour désigner le mois saint pour les musulmans et, par métonymie, le jeûne ou saoum, qui constitue l'un des cinq piliers de l'islam. Au cours de ce mois, les musulmans adultes ne mangent pas, ne boivent pas, et n'entretiennent pas de relations sexuelles de l'aube au crépuscule . Les malades, les femmes enceintes ou qui allaitent, les femmes ou jeunes filles qui sont dans leur période menstruelle, ou toute personne dont ce jeûne pourrait mettre la santé en péril en sont exemptés. Le jeûne a pour but d'enseigner aux musulmans la patience, la modestie et la spiritualité. Le premier jour du mois suivant est l'occasion de célébrations observées durant l'Aïd el-Fitr, la fête de la rupture du jeûne (Wikipédia). A Bakel, comme dans les autres localités soninkées, le Ramadan a une saveur particulière. C'est une période d'intense communion entre les familles. Quelques jours avant, les Faraansinko (les immigrés soninkés en France) et ceux des quatre coins du monde s'organisent pour les victuailles des familles. Le sucre est la denrée la plus prisée. Chaque fils immigré de la maison doit envoyer sa provision de sucre et de lait. Le foyer " Quai de la Gare " est le plus souvent le théâtre de ces opérations. Les " Fax " Soninkés sont pris d'assaut. Chacun s'active pour faire passer sa commande dans les plus brefs délais. Les commandes sont généralement constituées de sucre, de lait en poudre et café. Tout digne fils doit s'acquitter de ces réserves familiales.
A Bakel, dans les années 1980-1990, Mpa Adama Somono Coulibaly était l'un des grands bienfaiteurs du mois de Ramadan. À chaque approche de Ramadan, sa cargaison de sucre était envoyée à Bakel. L'ancien Imam Ratib de la grande mosquée de Bakel, Feu El Hadji Mabo DRAMÉ était chargé de la distribution des victuailles. Tôt le matin, ses disciples prenaient d'assaut le grand grenier familial pour le partage des caisses de sucre. Le grand marabout recevait par fax la liste des bénéficiaires qu'il donnait souvent au plus grand des disciples. À la lecture des noms, les " Xaralenmu " saisissaient le nombre de cartons accordés au bénéficiaire et se fondaient dans la nature à la recherche de la maison de l'heureux élu. On était Bakélois, mais on ne connaissait pas toutes les maisons a fortiori les bénéficiaires. Généralement, les bénéficiaires étaient des familles Somono et d'autres nécessiteux de la ville. C'était la ruée des "Xaralenmu" dans les quartiers de Bakel. De N'diayega à Yaguiné en passant par Modincané et Dar es Salam, ils avaient des missions partout. En plus, du sucre, ils devaient donner du généreux donateur Mpa Adama Somono Coulibaly. La phrase qui revenait souvent était " Xaramoxo yandi Xaye ! Nti Sukaaran paayi ! Npa Adaama Somono yandi a kina xayi ". Ils avaient tous mémorisé ce nom parce que les questions étaient inévitables. S'ils oubliaient ce nom, l'aller-retour express était assuré, car il n’y avait pas des portables à l’époque pour se renseigner auprès d'un collègue. La distribution prenait toute une journée. Certains " Xaralenmu " trainaient pour faire moins de courses mais le temps d'attente était chronométré. On ne pouvait pas faire plus d’une heure pour rallier deux quartiers. Le premier jour de ramadan était baptisé " Journée Adama Somono " par les disciples du Marabout El Hadji Mabo Dramé.
Tout le monde ne jeunait pas à Bakel. En plus des enfants, des malades, des personnes âgées ou impotentes, il y avait des adultes véreux qui faisaient du " Suumanbelaaxu " une habitude. Ils trompaient leur monde. Mais en réalité, ils n'observaient pas le jeûne. Pour manger, ils investissaient les grandes places des adolescents pour partager leur repas et boire du thé. Boire était également un subterfuge. Ils profitaient de leur baignade pour faire passer quelques gorgées d'eau. Les journées du mois de Ramadan étaient marquées de moments insolites aussi drôles les uns que les autres. Un jour, nous jouions au Football à quelques encablures de la mosquée ; Des "Haoussas" qui logeaient à la mosquée vinrent nous proposer une marmite pleine de viande qu'ils avaient préparée à la veille. Nous avions tous jeûné ce jour là. On avait entre douze et treize ans. À la vue de la viande savamment préparée, nous nous regardions et esclaffions de rire. On devinait ce qui allait suivre. Les gourmands comme EYO ne pouvaient plus résister à la tentation. D'un ton sec les " Nke ma suumu de "(Je n’ai pas jeûné) fusèrent de partout. Les jeûneurs du matin étaient devenus non jeûneurs en un petit laps de temps. On s'empara de la marmite et investît la maison des " Tandjigora " appelés " Galle" (Jardin). Quel régal ! Nous nous serions mordus les mains si nous avions raté ces belles tranches de viande épicées et savoureuses. Nous bûmes après et continuâmes le jeûne comme si de rien était. À la maison, on se faisait passer pour les grands jeûneurs en faisant le mourant alors qu’il n’en était rien. Le soir, nous partageâmes les bons plats de " Fonde " (Bouillie) et de riz avec les jeûneurs. Pire, on nous félicitait d'avoir observé le jeûne. Généralement, c'était le mode opératoire de tous les jeunes. Le jeu du " Jeûneur mourant ". Souvent, les jeunes remplissaient les "Tisalle", et allaient se désaltérer dans la salle de bain. Ils profitaient également de leur baignade pour boire goulûment. Tout ce cinéma n’avait qu'une seule finalité : Faire croire à son entourage que l'on jeûnait pour attirer la gentillesse et la sympathie des grandes personnes lors de la rupture. Nous attendions également le " Futuro " (Prière du Maghreb) coïncidant avec la rupture du jeûne pour s'adonner à notre jeu favori. En effet, quand le muezzin appelait à la prière, nous tapâmes sur les couvercles des canaris pour signifier l'heure de la rupture du jeûne. Les petits " Somonos " du quartier de N'diayega, eux, entonnaient une chanson bambara en courant vers leurs domiciles. Ces faits divers ponctuaient le mois de ramadan Bakélois. Nous observions également la prière du "Naafila " (Prière surérogatoire) surtout au début du mois.
Les derniers jours du mois de ramadan étaient également colorés. Pendant que les tailleurs confectionnaient les beaux habits, les filles, elles, accourraient derrière leurs coiffeuses. Trouver une coiffeuse n'était pas chose aisée. Les filles pouvaient passer des nuits pour les besoins de leur coquetterie. Souvent, ce sont les tailleurs qui s'érigeaient en bête noire. " Plus manipulateur qu'un tailleur, tu meurs " dit- on. Ils sont champions des faux rendez-vous. Les clients passaient des journées entières à attendre leurs habits. Un calvaire indescriptible qui faisait couler quelques larmes des yeux des impatients. Chez les garçons, l'heure est à la fête. Ils ont moins de contrainte que leurs sœurs. Ils peuvent se passer de beaux habits et toute la ribambelle d'effets. Leur jeu favori consistait à aller faire le tour des abattoirs pour contempler les bœufs qui serviront de " Tong-Tong " le jour de la fête. Ils parcouraient des kilomètres pour assister à ce festin. Chacun donnait son avis sur les bœufs et attendait avec impatience le jour du " Tong-Tong". La vieille de la fête de Korité "Aïd El Fitr", les garçons ne dormaient point. Ils faisaient une veillée dans leurs chambres de jeunes. Ils prenaient le thé et discutaient de tout. Leur vie d'adolescent, la fête, le Football, l'école, l'immigration, les filles, tous ces sujets étaient passés au crible.
Dès l'aube, les vieux retraités et quelques jeunes privilégiés du village immolaient les bœufs, les dépèçaient et formaient des tas. Les jeunes arrivaient toujours tôt au lieu du «Tong – Tong ». Certains assistaient aux différentes étapes du "Tong - Tong" pendant que d'autres jouaient au damier ou aux cartes. Les plus grands profitaient de ces instants pour faire les yeux doux aux jeunes filles des autres quartiers. Il règnait une bonne ambiance dans ces abattoirs de la capitale du Gajaaga. Entre ces différents appels, les jeunes s'impatientaient. Je guettais toujours le nom de mon grand - père et celui de mes trois grand-mères. Dès qu'on les appelait, j'alertais mes camarades qui, à leur tour, tendaient nos bols aux distributeurs. Dès que le nombre d'appels devient proportionnel au nombre de tas qui nous sont alloués, on reprenait le chemin du retour. Une fois arrivés à quelques encablures de chez nous, on remplissait les poches de nos manteaux de morceaux de viande. Généralement, on préparait ce plan de vols organisés de viandes des jours plus tôt. Chaque groupe de jeunes donne l'ordre à ses membres d'amener deux ou trois morceaux de viande que l'on grillera le soir autour du thé. C'est le seul jour de l'année que les jeunes Bakélois portent des manteaux. Après ces vols, on déposait le reste de la viande à la maison. Les parents donnent souvent quelques morceaux aux jeunes et gardent le reste pour les succulents déjeuners et diners du jour. On préparait des pattes, du couscous, des petits pois... Le soir, nous sortions dans la ville pour aller demander des étrennes.
Samba Fodé KOITA dit Makalou