Manu Dibango avait ouvert la route. Puis Touré Kunda, groupe de la famille Touré, a complété le travail, est devenu la référence, puis s'est éteint, avant qu'Ousmane, le jeune frère chanteur qui faisait partie de l'aventure, ne resurgisse après une décennie de répit. Touré Kunda, figure de proue de ce que l'on a par la suite qualifié de déferlante africaine, avait créé Emma, premier grand succès africain international des années 80. C'était à Paris, le Paris de Radio Nova et de la chapelle des Lombards. Jusque-là, les artistes du continent noir ne l'avait pas eu facile dans la Ville lumière.
«Mes frères ont commencé sans moi en se produisant dans les foyers et quelques petites salles de concerts de 20 ou 30 personnes, raconte Ousmane. Puis les gens sont venus en plus grand nombre et la couleur spéciale de leurs voix semblait les fasciner. Nous avions l'habitude de ce genre de réaction puisque, depuis notre enfance en Casamance, on nous appelait les frères "rape tout" parce que, lorsqu'on se mettait à chanter, il n'y avait plus de place pour les autres. Dans la famille, sur dix-sept enfants, on compte cinq grandes voix.»
En mélangeant plusieurs langues sénégalaises, du soninké au créole portugais en passant par le peuhl, le wolof et le français, Touré Kunda fondera les assises de l'afro pop mandingue, mâtinant ses influences premières de pop et de reggae. Si, pour l'époque, le succès devient fulgurant, un événement marquera toutefois davantage la vie d'Ousmane: la tournée africaine. «D'habitude, on se plaît à dire que nul n'est prophète en son pays, mais l'accueil du peuple sénégalais fut grandiose.» Rassemblement populaire à l'arrivée à l'aéroport de Dakar, réception chez le président de la république et ce grand concert organisé par eux qui réunit les Youssou N'Dour, Ismaël Lo, Baaba Maal et consorts qui sont montés sur la scène avec eux.
«Ils n'étaient pas encore connus à l'extérieur du pays. À cette époque, les musiciens africains ne croyaient pas à ce qu'ils faisaient. Mais ils ont compris que notre originalité provenait de la simplicité de notre musique, de son côté à la fois naturel, folklorique, ouvert et moderne. Nous leur avons dit: ne changez rien, il n'y a rien à rajouter dans ce que vous faites. Si nous parvenons à faire découvrir la profondeur de notre âme africaine, notre musique accédera à une dimension planétaire.» De cela, Ousmane semble tirer encore une grande fierté. «En voyant ces artistes évoluer aujourd'hui, nous pouvons dire: mission accomplie.»
Il se produit en quintette le 15 juillet au Kola Note. L'an dernier, il avait fait découvrir sur le disque Avenue du monde un esprit nouveau, une rencontre de l'autre, une création moins proprement africaine. «Il s'agit d'abord d'un disque du monde, puisque j'ai profité de tout ce que nous avons retenu en parcourant la planète avec Touré Kunda. La rencontre avec l'équipe de Together Production fut déterminante. On m'a fait travaillé avec d'excellents musiciens français qui m'ont écrit des pièces. Le guitariste Nicolas Mollard, par exemple, m'a proposé le titre Mandou. Il me donne le micro, je pose la voix, une seule prise et c'est parti.»
La voix haut perchée, sans stridence et doucement ensorceleuse, Ousmane chante du folk limpide à la basse funky, du maloya à la sauce tango avec le bandonéoniste Daniel Colin, du plus intime avec piano à pouce, du swing légèrement jazzé et du plus roots, avec kora mandingue ou doudouk arménien. Tellement accessible à nos oreilles occidentales, le répertoire peut presque passer inaperçu à une première écoute. Mais à la longue, un effet pénétrant se crée. Tout est question de sérénité et de sagesse, le chanteur nous invitant à l'humilité et à la recherche de valeurs communes, musicales ou humaines.
Les frères d'Ousmane ont vieilli mais font encore de la musique. Le neveu Daby Touré tourne maintenant dans le monde et le fils Mamadou prépare un album de musique acoustique. Pendant ce temps, Ousmane s'apprête à retourner dans sa maison. Le fabuleux destin de la famille Touré laisse encore son empreinte.
- Ousmane Touré au Kola Note le 15 juillet à 20h30.
Yves Bernard, LeDevoir.com