Du lot de la quinzaine de sprinters qui négocient la dernière ligne droite de la course vers le trône présidentiel, Abdoulaye Bathily pourrait être présenté comme un candidat sérieux. A la limite, atypique. Le candidat de la coalition Jubbanti Sénégal aborde le scrutin présidentiel du 25 février, la rage au ventre. Après son cheminement politique couronné en l’an 2000 par l’avènement de l’alternance qui l’a porté au rang des artisans de l’éclatante victoire du candidat Abdoulaye Wade, Abdoulaye Bathily revient cette fois-ci avec un objectif precis : détrôner un ancien allié politique qui a trahi ses espoirs.
Ironique, taquin, voire assassin par-ci. Sérieux, solennel et grave par-là. Dans l’ultime phase de sa énième course vers la magistrature suprême, l’homme se refuse de voir l’histoire se remodeler sous les contours d’une farce ! Jusqu’aux lointains bleds, les toits des cases résonnent sans répit des propos sortis de la gorge bourdonnante du professeur qui se veut historien chevronné. Bathily, par ces temps qui courent, est avant tout flanqué de sa casquette de politique. Présidentiable ! Cet universitaire capé est aussi un homme social, plein de civilités : «Abdoulaye ne s’éclate pas, mais il sait faire rire !», se complait à chahuter un de ses compagnons d’arme. En réponse, le professeur rétorquerait sans détours que «la gestion d’un pays requiert une bonne dose d’humilité» et qu’il «faut toujours regarder de l’avant et ne pas regarder derrière».
A regarder derrière, il apparaît que le candidat de la coalition Jubbanti Sénégal vient de bien loin. Tiyabou est le village où il vit le jour en 1947. Un bled perdu dans les profondeurs du Sénégal oriental, dans le département de Bakel plus précisément. La soixantaine d’hivernages qui le séparent de cette date repère auront fait de lui un homme discret, mais efficace. Abdoulaye Bathily, aux yeux de ses amis, dégage dans ses prestations une assurance et une sérénité qui donnent la sensation qu’en politique, la parole tenue est un réflexe de vertu ordinaire qui n’exige point de secret. Son parcours est tout aussi atypique. Ses humanités faites à l’Ecole élémentaire de Bakel dès 1953, le brillant élève soninké pose ses baluchons à l’école militaire préparatoire (Emp), devenue Charles Ntchoréré de Dakar-Bango, à Saint-louis du Sénégal. Trop libre et indépendant d’esprit pour un établissement du genre, l’animateur du journal «Les Echos de l’Emp» subit les foudres de l’armée, décidée à casser l’élan du dirigeant de la première grève menée en 1966 dans une institution de formation préparant systématiquement à la carrière militaire. Dix jours de tôle purgés au camp militaire de Ouakam, le bonhomme, chassé de l’école et fiché aux portes des lycées publics de son pays, trouve un pied à terre au département d’Islamologie de l’Ucad, puis à l’Ifan après l’obtention du Baccalauréat, en tant que candidat libre, avec la mention Bien.
Les années passent, mais les événements ne le détournent nullement de son destin d’homme politique. Bathily s’offre, d’ailleurs, un séjour anglais grâce à une bourse d’études qui lui ouvre les portes de l’université de Birmingham, avant un retour revanchard à la terre natale en 1975, pour l’accomplissement d’une destinée politique devenue implacable. Dans la clandestinité, il avait déjà mis sur pied une année avant la Ligue démocratique (Ld qui deviendra Ld/Mpt) qu’il mène avec des étudiants sénégalais établis à Paris, avant la légalisation de cette dernière après le départ de Léopold Sédar Senghor et l’avènement de l’ère Abdou Diouf.
Puis dans la guerre contre le régime susnommé, un projet d’alliance politique est formé en l’an 2000 et se fixe l’ambition de changer le cours de l’histoire au Sénégal après l’expérience des élections présidentielles de 1988 et 1993. Ce pôle de choc regroupe la Ld/Mpt du professeur Bathily et d’autres formations politiques qui se retrouvent derrière le candidat Abdoulaye Wade au second tour, et réussissent l’alternance politique au Sénégal : «Je suis fier parce que je suis acteur de l’alternance. C’est une immense épopée qui a quand même changé le Sénégal d’une certaine manière. Les mentalités ont beaucoup changé (…) Les Sénégalais savent, maintenant, que la carte électorale peut servir à quelque chose. On a réussi ça, aujourd’hui un nouveau citoyen est né : beaucoup plus perspicace, beaucoup plus critique sur le gouvernement. Et ça, c’est très positif !», clame-t-il souvent.
Et pourtant, les beaux nuages du sacre de l’an 2000 dissipés, la vie au quotidien du gouvernement d’union nationale composé des tombeurs du Président Abdou Diouf ne fait pas long feu. De sorties en sorties, le Président Abdoulaye Wade fait dans le discrédit des artisans de son éclatante victoire. Courroucé, Abdoulaye Bathily sauve son intégrité de leader politique et claque la porte, suivi, après, de ses deux camarades de parti Yéro Deh et Seydou Sy Sall. N’empêche, dans ses habits d’homme d’Etat, l’homme ne regrette nullement le choix historique de l’an 2000. Il ne s’en cache d’ailleurs pas : «Pourquoi regretter ? Nous nous battons pour que les comportements changent, nous ne pouvons pas regretter ce fait historique majeur pour le Sénégal. Si c’était à refaire, nous allons le refaire.»
Une autre chose tout aussi claire dans la tête du candidat de la coalition Jubbanti Sénégal est l’urgence de disjoncter le régime sopiste, dont le chef de file (Wade) «aura une triste fin», affirme M. Bathily.
Aliou SANE , Le Quotidien.