Le 9 avril 1989, Diawara (localité du Sénégal oriental) devient le théâtre d'un nouvel accrochage entre des bergers peuls mauritaniens et des paysans soninké Sénégalais. Selon des informations relatées par la presse sénégalaise, l'armée mauritanienne avait intervenu. Deux Sénégalais sont tués, plusieurs grièvement blessés, et une douzaine retenus en otages. Le ministre d'alors André Sonko prend ouvertement position en déclarant dans le journal "Le Soleil" du 17 avril 1989 que "trop c'est trop". Cette réaction avait déplu aux autorités mauritaniennes, qui voyaient d'un mauvais œil l'érection d'une commission parlementaire pour enquêter sur les conditions de l'accrochage. Ce climat entraîne à la fin du mois d'avril 1989 de violents pillages de boutiques maures dans la capitale sénégalaise. Du 21 au 24 avril, ce sont des commerçants maures blancs qui voient leurs boutiques pillées, des professionnels maures noir brûlés vifs dans leurs fours servant de dibiteries, etc. Des centaines de Sénégalais sont tués ou mutilés à Nouakchott et dans plusieurs autres villes mauritaniennes. Ceci en réponse aux exactions de Dakar. Pendant plusieurs jours, on assiste dans les deux pays à des chasses à l'homme. L'horreur était à chaque coin de rue : "A Dakar et à Nouakchott, les scènes de pillage ont été accompagnées d'actes de sauvagerie inouïe : corps mutilés, têtes coupées, femmes éventrées, enfant égorgés, etc.", rapporte «Le Soleil» du 24 avril 1989.
Les rapatriements :
Parquées dans des zones exiguës, les populations attendaient parfois plusieurs jours avant d'être expulsées dans leur pays d'origine. Chaque pays décide alors de rapatrier ses ressortissants, grâce à un pont aérien offert par l'Algérie et le Maroc. L'état d'urgence et le couvre-feu sont instaurés sur la région de Dakar afin de contenir une foule surexcitée. C’est ainsi que 70.000 Sénégalais arrivent à Dakar en l'espace de quelques jours alors que 170.000 Mauritaniens quittent leur pays d'adoption. Lorsque les rapatriements ont commencé, les Maures ont fait l'objet de vives représailles à partir du 28 avril. 60 victimes : c’est le chiffre officiel avancé.
Rupture diplomatique :
Le 21 août 1989, les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues. Les relations entre les deux pays deviennent froides et heurtées. La Mauritanie réclamait la restitution des biens et le décompte officiel des morts mauritaniens tandis qu'Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal, désirait que soit traitée devant une commission d'enquête internationale la question de la frontière. Les accrochages frontaliers étaient réguliers, comme le 6 janvier 1990, où l'on avait assisté à des échanges de tirs entre militaires. La tension était d'autant plus extrême que certains rapatriés Sénégalais, établis dans la région du fleuve, tentaient au péril de leur vie de rejoindre la Mauritanie pour récupérer les biens dont ils ont été dépossédés.
La réconciliation :
La réconciliation officielle entre les Présidents Diouf et Taya a lieu le 18 juillet 1991 en Guinée-Bissau. Pour montrer sa bonne foi, le Sénégal renonce à réclamer une rectification frontalière. Grâce à son ton mesuré et un sens aigu de la diplomatie, Abdou Diouf avait évité la guerre et obtenu avec cette réconciliation un succès personnel passé quelque peu inaperçu en 1991. Les relations diplomatiques seront rétablies en avril 1992 et la frontière sénégalo-mauritanienne rouverte le 02 mai 1992.
Deux Chefs d'Etats, deux discours
Si Abdou Diouf, ancien Président de la République, tentait de maintenir les relations de fraternité entre le Sénégal et la Mauritanie, le Président Taya choisissait la voie de la rupture définitive. Dans un discours radio-télédiffusé, prononcé en français, Taya accusait le Sénégal d'être l'unique responsable de la situation.
C’est ainsi qu’Abdou Diouf délaisse alors son ton courtois, et oppose le régime démocratique sénégalais au régime autoritaire mauritanien. Il souligne que "la Mauritanie a toujours bafoué les droits les plus élémentaires de l'homme et de la dignité humaine" avant de rajouter que "la presse (au Sénégal) exerce librement, sans entraves son métier, ce qui est impensable en Mauritanie". (Voir Le Soleil du 9 mai 1989). Abdou Diouf refusait aussi de tenir une position belliqueuse, affirmant "qu'il faudrait être fou dans le monde actuel pour rechercher la guerre, surtout quand on est un pays sous-développé et de surcroît sahélien" (Le Soleil, 23 août 1989).
Source : L'Alternance politique au Sénégal : 1980-2000
Auteur: Namory Barry