Dans ma culture malinké, comme dans d'autres sphères culturelles du pays, on est persuadé que le désordre naît avec la souillure. Au Mali la saleté, la tache morale s'appelle BASSESSE. Très peu de citoyens tiennent encore à la vertu qu'on a vite remplacée par la force de séduction du matériel, l'exubérante appartenance à telle famille ou tel clan reconnus pour leur mainmise sur un pan de l'appareil d'Etat, la fierté non justifiée d'être le cousin, ou le neveu, ou le beau frère de tel Ministre, Directeur National, Gradé des forces armées et de sécurité, hommes ou femmes d'affaires. Ou même l'intermédiaire entre un grand responsable et son <>. J'ai été étonné d'entendre un de ces hommes du secret me confier :<< Nous féticheurs et marabouts avons une grande part dans le retard du pays, car c'est nous qui poussons les grands patrons à détourner autant qu'ils peuvent ; nous sommes là pour enterrer l'affaire (k' a da tukun). >> Ce qu'il n'a pas ajouté, c'est qu'ils contribuent aussi à la politique de promotion de va-nu-pieds qu'ils mettent à de hauts postes de l' Etat, simplement parce qu'ils servent de relais entre eux et leurs clients.
Oui, la souillure est là ; la crasse se sédimente dans nos bureaux somptueux. Déhors, les temps sont vraiment durs, très durs. Le pays traverse des moments difficiles ; les gouvernants dorment difficilement, il ne faut même pas en douter. Et ce qu'il faut aussi se dire, c'est qu'ils ont besoin du concours de tous les maliens. Or, quand une nation est en difficulté, elle cherche des repères, c'est à dire des éléments stables à partir desquels s'organise un système de valeurs. Chaque peuple en possède, et au Mali des éléments stables ont existé et existent encore. Seulement, dans ce domaine, le plus difficile, c'est d'avoir l'envergure nationale et faire l'unanimité. Si l'on se réfère fréquemment, chez nous, à Soundjata KEÏTA, c'est parce qu'il n'est presque considéré nulle part comme un anti-héros.
Bref, chaque malien doit aujourd'hui se rappeler d'un certain nombre d'éléments pour comprendre le sens (et y répondre positivement) de l'appel au sursaut national que le premier Ministre SIDIBE a lancé dans sa déclaration du18 mars 2008 sur la crise de l'école:<<L'Ecole reste notre bien le plus précieux...>> :
1- Le Mali n'est l'héritage familial de personne. Il est donc hors de question et même irresponsable de le laisser couler pour le simple plaisir de voir tel responsable ou tel adversaire politique en difficulté. Cette attitude est à bannir de nos habitudes de gestion du pays, dans les moments difficiles au moins. En cela, il est humiliant d'entendre que des éducateurs poussent leurs élèves à débrailler. Même si nous avons toutes catégories d'enseignants maintenant, c'est une bassesse que rien ne justifie dans le comportement d'un << professeur>>, quel que soit son profil de formation. De même, ceux qui ont temporairement en charge le destin du pays doivent s'interdire toute gestion familiale ou clanique de notre bien commun. Car, il n' y a des calculs politiciens, des spéculations d'intérêts personnels qui peuvent expliquer l'isolement actuel du Ministre TOURE sur le front scolaire (Secondaire surtout).
2- La situation scolaire qui motive ces lignes a dépassé le stade des négociations interminables : la solution est entre les mains du Gouvernement et des syndicats enseignants. Le premier doit choisir entre autres possibilités : fléchir, s'assumer, ou se démettre. Dans le cas où mon cousin Peul- Policier- Premier Ministre et son équipe fléchiraient en accordant des primes de logement aux enseignants du Secondaire, ce serait une façon de programmer un blocage de tout l'Etat dans un proche avenir. Car, personne ne peut nier que le blocage actuel du Secondaire se justifie par cette bêtise qui a été commise d'accorder ces primes à l'Enseignement supérieur. Aujourd'hui, et l'Education de base, et le préscolaire, et l'agriculture, et les médecines humaine et animale tous les autres corps attendent ( le souhaitant vivement aussi !) que le Gouvernement se mette la corde au cou en cédant à la pression des syndicats de l'Enseignement secondaire.
Par contre si mes cousins Marabouts- TOURE (celui de Koulouba et celui de la Place de la Liberté) choisissaient d'en découdre avec les enseignants qui ont bloqué le système éducatif depuis longtemps, il leur faudrait renoncer à l'année scolaire et profiter alors pour mettre en question des aspects qui menacent dangereusement notre école. Il s'agit notamment de la gestion du << corps enseignant>>, un corps qui a tout supporté dans ce pays, parce qu'il était constitué d' agents formés pour cultiver des valeurs, des éléments vertueux, des patriotes achevés, des cadres qui ont appris que << ...Pour un homme véritable, il y a au monde autre chose de mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune ; c'est d'être un des artisans les plus valeureux de l'édification d'une société nouvelle dans son pays...>> (Modibo KEÏTA, Discours devant l' Assemblée Nationale, 13 mai 1964) Mais dans lequel corps on retrouve aujourd'hui, presque majoritairement, des gens qui ont rêvé d'être dans de grosses cylindrées, parce que destinés, par leur formation à être parmi les plus nantis de notre administration : douanes, justice, ingénieurs de toutes spécialités, techniciens en tous genres. Cette situation explique pourquoi ni le peuple, ni les dirigeants ne peuvent se reconnaître à travers les types d'enseignants qui remplissent les temps de cours de nos classes actuellement. N'ayant ni la technicité requise pour éduquer, ni la prédisposition mentale pour être enseignants, ces éléments ont une grande part dans le changement des mentalités qui s'opère, à une vitesse vertigineuse, au sein du corps enseignant. Le paradoxe est que c'est dans cette catégorie d'enseignants qu'on trouve les plus radicaux du mot d'ordre de << non-évaluation. >> Ceux qui n'ont pas franchi les portes de l' ENSEC, de l'I.F.M, ou de l'ENSUP et qui sont rentrés par la fenêtre de la <> sont aujourd'hui plus nombreux que ceux qui, en venant dans ce métier, ont choisi de ne pas être fortunés. C'est cette nouvelle race d'enseignants sans foi ni loi (pas tous !) qui pousse aujourd'hui nos enfants à la rue, pensant pour éviter l'organisation de compositions avec l'appui d'autres agents que ceux du secondaire. Par ces actes en cours dans les lycées de Bamako, Sikasso, Ségou voilà étalé au grand jour tout le capital inculte qui parade dans nos classes actuellement. Il faut réellement être intellectuellement limité pour croire qu'il est possible d'organiser des compositions dans un lycée comme celui de Sikasso (plus de 3000 élèves !) sans les professeurs du secondaire. Au plus, l'Etat peut se passer des professeurs du secondaire, organiser les examens et trouver des correcteurs. Cette solution est IMPOSSIBLE pour la population scolaire des classes de 10e et 11e A.
Il importe aujourd'hui que les syndicats, comprennent que l'appel de son excellence Modibo SIDIBE s'adresse surtout à eux, et qu'ils ont la clef du problème. En réalité, nous autres enseignants, nous n'avons que l' Ecole et si cette institution devait couler, nous devrions logiquement être les premiers à protester. Car, <>
3- Même s'il n'a jamais fait l'unanimité en tant que repère pour ses concitoyens, Modibo KEÏTA, le premier Président du Mali indépendant constitue une valeur sûre à laquelle on peut se référer pour entretenir le flambeau du patriotisme. Et comme je l'ai cité ci-dessus, Modibo KEÏTA avait une vision d'Etat et j'ai fait l'effort de le lire pour nos concitoyens que j'invite à méditer sur les propos qui suivent :
<< Mon propos ce jeudi, s'adresse à vous tous certes, mais plus particulièrement à ceux d'entre vous, dispensateurs de la culture et du progrès, ceux sans qui il n'y a pas de connaissance, et qui ont la charge de guider les pas du jeune Malien héritier de notre glorieux passé sur la voie de l'honneur et de la culture. C'est à vous, Camarades enseignants, qui remplissez une mission noble, exaltante, mais difficile et ingrate, avec bien souvent la seule satisfaction d'avoir accompli votre devoir, que le Parti, en accord avec tous les travailleurs, a décidé de réserver sa première attention en procédant à la revalorisation de votre fonction.>>
Extrait du Discours du 19 juillet 1962 sur la revalorisation de la fonction enseignante au Mali.
<< ...L'effort est considérable et il vous engage, Camarades Enseignants à vous montrer dignes de cette confiance. en vous attachant davantage à votre noble métier, à vous considérer partout, dans les classes, les villes et les villages comme des apôtres et non comme des salariés afin d'accélérer la liquidation de l'analphabétisme>>
Extrait du Discours du 19 juillet 1962 sur la revalorisation de la fonction enseignante au Mali.
<< Dans la marche en avant les responsables à tous les niveaux doivent éviter à tout prix de se laisser gagner par l'appât du gain et du luxe ; leur devoir est de fuir la facilité et l'embourgeoisement progressif des mœurs. Le fait de rouler en Vespa ou même en voiture, d'être bien logé, ce n'est pas cela la bourgeoisie. La bourgeoisie, c'est l'état d'âme qui fait qu'on se complait dans la béate satisfaction de ses besoins avec un égoïsme qui rend insensible à la souffrance de ses voisins et du peuple. >>
Extrait du Discours 22 septembre 1961, Meeting du 1er anniversaire de l'Indépendance.
<< C'est dans la mesure où ils ( élèves et étudiants) comprendront qu'ils sont des privilégiés parce qu'à travers la République, nous avons des centaines de jeunes qui n'ont pas l'avantage, la possibilité d'aller à l'école, à plus forte raison d'accéder à l'Enseignement secondaire et supérieur, c'est dans la mesure où ils comprendront qu'ils sont donc des privilégiés face à leurs frères qui cependant peuvent avoir sur le plan intellectuel plus de qualités que ceux qui aujourd'hui sont dans nos établissements, qu'ils sauront apprécier tout l'effort que le Gouvernement consent en leur faveur et comprendront aussi que leur devoir, leur premier devoir, c'est de répondre à cette confiance, de répondre à cette faveur par un travail constant, assidu et une conduite exemplaire et cela, dans tous les domaines.>>
Extrait du Discours du meeting de Diré, 13 novembre 1963.
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Extrait du Message au peuple Malien, nouvel an 1961.
<<la République, nous pourrons avoir des Présidents du Gouvernement, des Ministres, des Assemblées nationales mais si chacun de nous n'a pas le sentiment d'être indépendant, si chacun de nous n'est pas animé de la volonté de faire en sorte que cette indépendance devienne une réalité et si chacun de nous n'accepte pas en conséquence les sacrifices nécessaires dans sa vie quotidienne, dans sa vie de tous les jours pour que cette indépendance devienne une réalité, eh bien, malgré nos Présidents de République, nos Présidents de Gouvernement et nos Assemblées nationales, nous continuerons à subir éternellement la domination étrangère.>>
Inauguration de la conserverie de légumes de Baguineda, 21 février 1964.
<< Ce qui est déjà accompli, à force de foi, est considérable. Aucun peuple ne se construit dans la facilité. À ce titre, vous avez démontré que le Malien sait être courageux et même audacieux. La victoire est à ceux qui osent. >>
Extrait du Discours 22 septembre 1961, Meeting du 1er anniversaire de l'Indépendance.
Par Tamba DOUMBIA Professeur de Français à la retraite
Source : Maliweb