Eviter l'appel d'air en matière d'immigration clandestine. C'est l'obsession de la France, qui prendra les rênes de l'Union européenne pour six mois le 1er juillet. « Toute vague de régularisation massive a un effet stimulant sur les filières », justifie Thierry Coudert, directeur de cabinet du ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Brice Hortefeux. Pour lutter contre le phénomène, la France met sur pied un « pacte européen sur l'immigration », une idée de Brice Hortefeux, validée lundi dernier par l'Elysée et présentée mardi par le Premier ministre, François Fillon.
Chantier majeur de la présidence française de l'UE, ce pacte, encore à l'état d'ébauche, prévoit un renforcement du dispositif Frontex, l'agence européenne de protection des frontières terrestres et maritimes, une définition commune du droit d'asile et une concertation sur les politiques de codéveloppement. Avec ce pacte, « chaque pays s'interdi[ra] des régularisations massives [de sans-papiers] sans avoir l'autorisation des autres », a averti Nicolas Sarkozy la semaine dernière. En 2005, l'ex-ministre de l'Intérieur n'avait pas du tout apprécié que l'Espagne régularise 600 000 sans-papiers, ce qui avait provoqué une brouille passagère entre les deux pays.
Fort du soutien de l'Elysée, Brice Hortefeux vient d'entamer une tournée des capitales européennes pour les rallier à son projet. Selon son cabinet, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie, qui ont procédé ces dernières années à des régularisations massives, « n'envisagent plus d'en faire et nous soutiennent ».
Ce pacte peut-il freiner l'immigration clandestine ? « Non », assure Serge Daniel, qui publie Les routes clandestines. L'Afrique des immigrés et des passeurs (éd. Hachette Littératures), fruit de quatre ans d'enquête. « Plus les frontières seront fermées, plus les clandestins essaieront de venir », explique-t-il. « Partir, c'est tenter de goûter le fruit défendu », renchérit Omar Ba, qui a fait le périple.
Déterminés, les candidats à l'émigration clandestine peuvent aussi compter sur l'habileté des réseaux mafieux. Face au renforcement des lois sur l'immigration en Europe, « les filières se réorganisent depuis trois mois, explique Serge Daniel. Le but, c'est que les gens passent en Europe à dose homéopathique en plusieurs points, plutôt qu'à dose de cheval au même endroit, où la police les attendra. » Les milliers de clandestins bloqués aux portes de l'Europe ont tout le temps devant eux. La seule chose qui compte à leurs yeux, c'est d'arriver à destination.
Faustine Vincent - ©2008 20 minutes
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Omar Bâ : «Notre passeur a jeté des gens par-dessus bord pour que la pirogue ne coule pas»
Omar Ba a mis près de trois ans à rejoindre la France. Ce jeune Sénégalais étudie aujourd'hui la sociologie à Paris et publie Soif d'Europe. Témoignage d'un clandestin (éd. du Cygne).
«J'ai quitté Dakar le 5 septembre 2000. J'avais 21 ans et le bac en poche. La veille du départ, dans mon quartier, il y a eu des funérailles de clandestins morts en route. Mais ça ne m'a pas refroidi, je pensais que c'était une exception. J'ai pris les 500 000 FCFA (762 euros) que ma mère avait économisés pour que je fasse le périple et je suis parti. J'ai rejoint le lieu du rendez-vous. On était un groupe de cinquante personnes. Le passeur nous a emmenés jusqu'à la plage de Mbour, direction les Canaries. Face à la pirogue, j'ai hésité quelques secondes. Je ne sais pas nager. Mais j'ai décidé de suivre mon destin. Arrivés à Dakhla, ultime étape avant les Canaries, notre coque a pris l'eau. Mourad, notre passeur, a décidé de jeter des gens par-dessus bord pour alléger la barque, certains pendant leur sommeil. Il a en jeté dix. Les cris étaient atroces. D'un côté, j'étais choqué, et de l'autre, je me disais que c'était peut-être le seul moyen pour que la pirogue ne coule pas. L'instinct de survie avait pris le dessus. Mais nous n'avons pas pu arriver jusqu'aux Canaries.
J'ai tenté de rejoindre l'Europe par d'autres moyens, mais j'ai été refoulé à chaque fois : du Maroc [à Ceuta et Melilla], de l'Algérie, du Tchad, et de Lampedusa [île italienne]. Personne ne voulait de moi. En tout, j'ai pris trois fois des pirogues. J'ai traversé le désert pour aller en Algérie en suivant des caravaniers. J'en étais arrivé à bouffer du sable et je crevais de soif, alors qu'eux faisaient leurs ablutions pour la prière, sans rien nous donner. J'ai supporté tout ça parce que je me disais qu'au bout, un eldorado m'attendait. Mais, enfin arrivé en Europe, j'ai été expulsé et renvoyé à la case départ, au Sénégal. J'ai repris mes études, et j'ai réussi à décrocher un visa étudiant pour la France, où je suis arrivé en 2003. Même si ça a été une souffrance de quitter les miens, aujourd'hui, je veux rester et faire ma vie ici. Mais si c'était à refaire, je ne le referais pas. C'est trop dur.»
Propos recueillis par Faustine Vincent