« La bonne nouvelle, mon ami ! la bonne nouvelle ! J’ai un billet pour Paris, oui, Paris, Paris dont nous avons toujours tant parlé, tant rêvé. J’y vais dans quelques jours. Je vais voir Paris, moi aussi, avec mes yeux. Désormais, je serai un peu comme tout le monde, je porterai une auréole, un parfum de Paris. Je vais toucher les murs, les arbres, croiser les hommes.
Il m’arrive moi-même de ne pas y croire. Et pourtant c’est vrai. Tiens, regarde, j’ai là mon billet, dans la poche. Un billet aller et retour. Et pour me convaincre de la réalité des faits, je sors constamment, le billet, et le regarde, et le remets en place, et le ressors. Combien de fois l’ai-je sorti depuis le jour où il m’a été remis ? Je ne saurais te le dire. Je le ressortirai jusqu’à ce qu’il en soit fatigué et demande grâce. De temps en temps, je le touche pour voir s’il est bien là, en place, s’il ne s’est pas envolé, si…
Un billet pour Paris, on ne l’a pas toujours, tu le sais, il faut être « quelqu’un » pour aller à Paris, et je ne suis pas « quelqu’un » tu le sais aussi. »
Comme l’auteur du texte ci-dessus (Bernard B. Dadié, Un nègre à Paris, Paris, Présence Africaine, 1959), moi aussi je ne suis pas quelqu’un et je n’aurais pas écrit ce texte si on me l’aurait pas demandé pour partager mon expérience à titre instructif. Et, encore, cette demande ne vient-elle pas d’une personne à qui je dois beaucoup ? Donc, point d’échappatoire ! Il me faut écrire. Ecrire pour éclairer la lanterne de mes frères étudiants, en route vers Paris, sur ce qu’est le début d’un classique étudiant en France. Ecrire parce qu’on m'a demandé de coucher sur papier les premières galères d’étudiant sénégalais que je suis sur les terres de Marianne. Galère, ne suis je pas déjà habitué à ce mot ? Moi, ancien étudiant de l’Université Cheikh Anta DIOP, je pourrais raconter mille et une galères vécues et partagées avec des milliers d’étudiants sur mon propre terroir. Même si j’avais le minimum vital ( logement à deux pas de l’Université, familles proches…), vivre à Dakar les proches trouées tous les matins, n’est-ce pas déjà une galère sans commune mesure ? Mais, bon, passons ! Les Sénégalais comprendraient où je veux en venir. Bref, je vais vous raconter une odyssée, la mienne évidemment, des terres de Gueule Tapée à Montpellier. Qui suis je ? Un enfant né au Sénégal oriental, étudiant en Master de Philosophie dans une université de Montpellier depuis Septembre 2015.
Ce texte ne suivra pas la voie classique d’un article, nous allons comme Bernard Dadié raconter l’expérience du nègre que je suis ( moi seul, j’ai le droit de m’appeler ainsi) en partant des conditions dans lesquelles il est venu à Paris jusqu’au moment où ce texte est écrit. Sous la forme d’un roman. Qu’est ce la vie sinon un roman ? Il faut aussi dire que pour Dadié comme pour la plupart des africains, Paris est égal à la France. Mais évidemment que ce n’est pas le cas, surtout pour nous qui sommes à Montpellier et pour d’autres qui sont là avant nous et qui sont dans d’autres villes. Donc, soyez pas surpris de l’usage abusif de Paris dans notre texte. A ce propos, il serait bien que d’autres racontent leurs expériences. Cela fera un livret indicatif. Mais, nous aussi, nous employons Paris au sens de B. Dadié car bien que les villes soient distinctes, le système qui les gouverne reste le même. Toutefois, nous essayerons d’être aussi sérieux que Bernard Dadié dans son livre que nous conseillons comme guide pour tout africain qui souhaite venir à Paris-La France.
Pour introduire ce texte, nous avions à choisir entre les mots de Dadié et les belles gifles du froid de Paris. Ah ! Le froid de Paris, Il engrosse a lui-tout seul comme le disait un cousin. Mais, si nous avons choisi les mots de Dadié, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas le froid de Paris car qui veut venir à Paris doit aimer son froid aussi. Le choix du texte de Dadié reflète un certain état d’esprit, celui dans le lequel nous nous trouvions avant de venir. Et, je crois que c’est un peu le cas chez tous les africains francophones. Autrement dit, le mythe de Paris reste aussi resplendissant que les tirailleurs de Thiaroye 44 l’ont laissé. Pourquoi ? Personne n’est parvenue à y apporter une réponse car les mythes trouvent rarement de réponse. Mais, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réponse car un mythe est idéologie. Et, par ailleurs, le but de toute idéologie c’est de cacher la réalité comme le dit Alfred Gomus-Muller parlant, dans Chemins d’Aristote, de l’esclavagisme d’Aristote. Qui l’aurait cru Aristote esclavagiste ? Mais bon, à Paris, on apprend tout.
Si nous avons rappelé des faits qui n’ont pas de lien direct avec notre propos c’est pour poser la question : Pourquoi venir à Paris ? Cette question aura autant de réponses qu’il n’ y a d’hommes ou de femmes qui veulent venir à Paris. Et, nous laissons à chacun le soin de répondre pour lui-même, au risque de fâcher. Nous laissons à chacun ce plaisir-là. Mais, ce que nous voulons signaler par là, c’est que bon nombre de gens quittent l’Afrique comme s’il y’avait la peste. Ceci n’est pas un mythe mais une idée reçue des Occidentaux. D’autre part, cette pensée est nourrie gracieusement par les africains, eux-mêmes. Ce n’est point pour critiquer les gens dans leur choix mais c’est pour signaler les dangers qui sont liés à une telle attitude. En effet, quand on quitte un lieu en proie à la peste, on ne se prépare pas : l’essentiel est de partir loin, aussi loin que l’on pourra. Or, pour venir à Paris ou dans tout autre endroit, on ne part pas sans se préparer. Se préparer psychologiquement et physiquement surtout pour quelqu’un qui vient poursuivre ses études. Mais, le visa en poche, la joie occulte toutes les craintes. Déjà, sommes nous pas chanceux d’avoir une réponse positive de l’Ambassade de France si l’on sait que des centaines de demandes sont refusées chaque mois ? Oh que oui, je me rappelle de tous ces visages tristes rencontrés sur le « chemin du visa » ou celui de « Campus France ». Donc, je n’ai pas le droit de « snober » la France comme si elle n’était pas désirée. De plus, en bon Soninké, n’est-ce pas simplement ma destinée ? Feu mon père ( paix à son âme), mes frères, mes oncles, mes tantes, mes cousins… ont tous succombé à l’appel de l’euro pardon du franc français. Pour ma part, je vais dire que je réponds simplement à l’appel du savoir pour me démarquer du reste. Mais, le Soninke immigré et l’étudiant soninké, cela ne fait pas toujours bon ménage. Pour nos parents, on vient à Paris pour travailler. C’est aberrant de traverser l’Atlantique pour aller noircir les bancs de l’Université. Combien de fois ai-je entendu ces mots : « Il est temps d’arrêter les études pour aller travailler. C’est une perte de temps ». Combien de frères et soeurs, intelligents et studieux, ont vu leur rêve se briser faute de soutien à Paris la france ? Beaucoup, certainement. Des docteurs, des ingénieurs… On aurait pu en compter par cinquantaine voire par centaine dans chaque village de la Vallée du fleuve Sénégal si les parents avaient toujours pris à bras le corps le devenir de nos bacheliers. Bon, ce n’est pas l’objet de notre sujet… Ah, rien que je pérore ! Allons à l’essentiel. Pour venir à Paris la france, il faut étudier le terrain comme s’il était miné de bout en bout.
Il faut donc se préparer et le mot s’entend au sens fort, c’est-à-dire militaire. Paris n’est-il pas un champ de bataille où chacun est dans son camp ? Mais avant de venir ici, préparer son atterrissage importe peu. Comme je l’ai dit plus haut, les gens s’arrangent juste pour trouver un billet et prendre les airs. On trépigne. On a des fourmis dans les jambes. On prend l’avion pour la première fois. Quel plaisir ! Mais si le décollage n’est pas bien fait, oh mon Dieu, l’atterrissage risquera d’être brutal. La veille du jour où ce texte a été écrit, j’ai rencontré quelqu’un à qui j’ai posé la question suivante : Etes-vous étudiant ? En effet, dans la ville où je suis (Montpellier), plus de la majorité de la population est estudiantine. Il m’a répondu par la négative avec l’explication suivante : « Pour étudier ici, il faut un soutien. Moi, je ne l’avais pas ». Quand je dis préparer c’est avant et après tout avoir un soutien. « On n’entreprend pas des études ici sans soutien et pas n’importe lequel, un vrai. Quelqu’un qui partagera les durs moments de ton arrivée » poursuit-il !
Combien de fois m’ont-ils jeté à la figure : avez-vous un garant ? Combien de fois, j’ai eu envie de dire oui. Oui, j’ai bel et bien un garant : Dieu, le très haut. Mais à chaque fois, je pouffais de rire intérieurement (Attention, à Paris on ne rit pas n’importe comment. Sourire surtout le matin, c’est suspect. ça tire tout le temps la gueule. ça se lamente comme devant le mur des lamentations). Et, je leur confirmais que oui, j’ai un garant. Parfois pour les rassurer, je leur disais j’ai plusieurs garants. Et oui, j’ai des garants (qu’Allah les bénisse). Mes frères, ma belle-soeur, mes cousins…Ces gens qui furent tout pour amortir ma chute brutale lors de mon atterrissage. Je me rappelle de ces nombreux sms, de ces appels nocturnes pour me tenir au courant des multiples démarches entreprises pour mon compte. Mon frère, mon garant, était abonné à plusieurs sites comme le bon coin pour me dénicher une colocation. Une centaine d’appels, des dizaines de mails… Au final, nada, rien, « Touss » ! Des journées stressantes, il en a passé. J’imagine. « Si c’était à Marseille, le Havre, Brest, Lyon, Paris, cela aurait été plus facile », me dit-il, l’air dépité. Pour me taquiner un peu, il me dit : « Aussi, tu es malchanceux. Tu as la tête dure. Va mouiller ta tête…( Ah, sacrée superstition à l’africaine). Aucune âme charitable n’a été trouvée pour moi en comparaison de notre cousin qui est venu une année avant moi. Il a bénéficié d’une aide incommensurable. Un ancien étudiant, résident dans la ville où il devait étudier, lui a ouvert les bras sans condition. Une personne d’une humanité sans commune mesure. Un homme d’une grande gentillesse qui ne ménagea aucun effort pour son intégration. Et, tout cela sans aucune contrepartie ». Mon cousin a validé sa licence en Mathématiques et débute cette année un Master en Mathématiques. Quelle chance ! A Paris la France, il faut en avoir… Chance « Mo gueune Licence » comme le disent les Wofolos ( Mieux vaut avoir la chance qu’une licence), je le savais déjà.
« J’ai été étudiant. J’ai vécu dans les mêmes conditions. Sans aide, je ne serai pas devenu ce que je suis. Ne vous en faites pas. Que Dieu nous facilite tous les choses », tels étaient les mots de son hébergeur. Voici, l’exemple tangible du sens de l’humain. Aider son prochain sans condition au moment où la situation devient plus que critique.
Le fait d’avoir un garant est important dans la mesure où il vous prépare le terrain et rend moins douloureuse la brutalité de votre atterrissage. Mais, il faut se le dire, l’atterrissage sera brutal avec ou sans garant car tout Paris est en « béton ». C’est dur. Les gens sont vaccinés et aguerris contre la misère humaine. C’est chacun pour soi, Dieu pour les chanceux. C’est ça le quotidien. Mais, il y a des choses, on a beau les expliquer, ça ne rentre pas dans toute tête. Mais, à Paris, tout le monde entend raison. Ce qu’on peut expliquer par contre c’est qu’il faut bien chercher un logement en amont. Dans la préparation du dossier du campus France et pour la demande de visa, les étudiants trouvent via des parents ou des amis un logement « sur papier ». Erreur fatale ! Château en papier n’abrite qu’un prince en papier. Il faut vraiment avoir un logement. Ainsi, je m’en vais conter mon histoire avec le logement. Ah, logement, tant rêvé mais toujours inaccessible ! Quand je venais à Montpellier, j’avais fait un bail pour justifier d’un logement en bonne et due forme. Mais, sur place, ce fût un parcours de «légionnaire» pour ne pas dire de combattant. J’ai cherché pendant un mois un logement. Soit, il y en avait pas soit c’était trop cher pour moi, enfin pour mon garant. Et je me rappelle encore de mes nombreux coups de fil et des nombreuses réponses : « Désolé Monsieur, c’est déjà pris ». Le Parisien et son désolé. C’est exaspérant ! Pardon, j’ai raté une étape importante. En effet, après quelques jours à Paris chez mon frère, la séparation devenait inévitable. Rassurez-vous ! Il ne m’a pas jeté dehors comme cela arrive à certains étudiants. Il faut le dire. Beaucoup se retrouvent dehors quelques semaines après leur arrivée. Ce ne fut pas mon cas…Seulement, je devais couper le cordon ombilical pour descendre dans le Sud, précisément à Montpellier où je devais m’inscrire dans un délai de 10 jours. Malgré toute sa bonne volonté, il n’a pu trouver un logement pour ce cher frère que je suis. En partant à Montpellier, je devais être accueilli par une connaissance de ses connaissances. Vous l’avez compris, c’est à la façon africaine. Je devais rester une semaine chez cette personne le temps de m’inscrire et d’étudier les possibilités d’être logé en CROUS… Mon hébergeur ne pouvait pas m’aider au delà de 7 jours car il devait déménager dans la semaine qui suivait. Je restai que quatre jours finalement pour de nombreuses raisons. Cette solution d’hébergement provisoire devait me permettre de harceler le CROUS et obtenir ma carte d’étudiant, parallèle, la première clef dans cette ville.
Le CROUS. C’est efficace ! Cependant, il faut constituer un dossier très tôt ( A partir du 15 janvier). Autre chose qu’il faut dire par rapport au CROUS et son parc locatif, c’est qu’il n’y a que des étudiants en Master qui peuvent en bénéficier quand on vient de l’étranger surtout. Pour ma part, je remplissais les conditions par la grâce De Dieu. Ainsi, nous pensons, cela n’engage que nous, qu’il faut venir poursuivre ses études à partir du niveau Master. Cela, pour des raisons de facilités administratives et aussi pour trouver facilement un travail. C’est ce que l’on dit. Pour ma part, je n’ai pas encore eu cette chance. Je prends l’exemple d’un jeune burundais (1ère année de psychologie) qui a voulu déposer un CV pour un travail. On exigeait le niveau master. Ceci dit, ce n’est toujours pas le cas car la même personne a trouvé un boulot ailleurs.
Mais que l’on vienne faire master ou pas, il faut régler l’équation « logement ». A défaut, on risque simplement de dormir à la belle étoile. Ce qui a failli m’arriver. Et, aujourd’hui encore, je me moque de moi-même quand je pense à ce froid. Dormir dehors quand il ne fait pas froid, cela passe encore. Mais s’il fait froid, ce ne sont pas des gifles que j’allais recevoir mais purement et simplement une belle bastonnade. La première nécessité (impératif), c’est le logement, le logement, le logement. Car, même au-delà du froid, sans une stabilité de ce côté, on ne peut suivre correctement les cours. Mon ami burundais par exemple, il fait chaque jour deux heures de trajet pour venir faire cours. Je vous épargne les détails qui sont plus terribles les uns les autres. C’est pour dire à quel point cette équation est à résoudre avant de venir. Et, par rapport à ça, il faut bien faire des choix car certaines villes donnent plus de logements que d’autres selon l’importance de leur académie. Et, Montpellier où je suis, selon les agents du CROUS, est la ville qui donne plus de logements aux étudiants internationaux. Et, j’insiste sur le fait de constituer très tôt un dossier sinon vous risquez de vous retrouver comme moi. Quand j’y pense encore, je me sens ridicule même si cette anecdote m’amuse dès fois.
On m’a dit : « Quand tu arrives au CROUS, tu fais le fou ». Faire le fou ! Cela n’est-il pas en soi une folie ? En tout cas, je le déconseille car ce n’est pas efficace. En plus, votre amour propre en prendrait un sacré coup. Cela dit, il parait qu’ailleurs cela marche pour d’autres. En fait, si je le déconseille ce n’est pas parce que ça rend ridicule de faire le fou. De toute façon, on est à certains moments de la vie un peu ridicule et un peu fou surtout à Paris. Mais, je pense qu’il vaut mieux se préparer en faisant son dossier au moment indiqué par le CROUS. Car, au moment où je faisais l’expérience de la folie, des étudiants, des arabes surtout, venaient tranquillement prendre leurs clés. Devant mon étonnement interrogateur, ils me répondaient en toute simplicité qu’ils avaient fait leur dossier au début de l’année. Mon dossier fut fait à la fin du mois d’Aout. Quelle folie ! Et encore, je remercie mon frère d’y avoir pensé dans un moment de pure lucidité. Il a effectué toutes les démarches sur internet. Il envoya le dossier à qui de droit. Comme il le dit lui-même : « On ne sait jamais. Mieux vaut en avoir un que rien ». Cette démarche fut salvatrice pour ma part. Car, elle me donnait au moins l’occasion d’aller réclamer quelque chose. J’avais un dossier à mon nom. Sans cela, on m’aurait interné car ce serait plus qu’une folie. Comme le disent les ivoiriens « Blanc ne connait que papier ». J’ai fait le pied de grue au CROUS. J’ai usé de toute sorte de subterfuges. Las de me voir dans leurs pattes chaque matin, les agents m’ont simplement envoyer paître sans aucune pitié. Pis, ils me demandèrent de ne plus venir les importuner au risque de griller toutes mes cartes. « Vous êtes sur liste d’attente. Vous êtes même pas dans les premiers 100 premiers demandeurs. Revenez nous voir en Novembre… ». Fin…
Avant de venir en France, il faut aussi se préparer financièrement. Et, oui ! A Paris la France, c’est le nœud de la guerre. Et, ce n’est pas votre garant qui dira le contraire car à Paris mêmes les centimes comptent et se comptent. Montant acquitté pour mon inscription : 476 euro 10 centimes. En convertissant cette somme en CFA, j’ai failli faire un malaise. Plus de 300.000 CFA, rien que pour l’inscription… Mon esprit sénégalais resurgit. Pourquoi pas faire du « Wakhalé » ( Marchandage ). Après tout, qui ne tente rien n’a rien ! Ce serait ridicule, me disais je… C’est écrit noir sur blanc sur le papier. On n’est loin du Sénégal où les gens sont traités de méchants parce qu’ils ont refusé de nous pardonner 50fcfa. A ce propos, une gabonaise m’a dit que sa chère mère a négocié le billet d’avion de Gabon à Montpellier en passant par le Maroc en économisant 100.000 FCFA. La mienne aurait essayé aussi, le succès serait garanti, n’est ce pas culturel en Afrique ? Ici, ce n’est pas possible. La pitié n’y a pas encore pris ses quartiers. Point de guichet pour se lamenter avant de donner la somme. La transaction se fait à la poste par mandat. L’agent de la poste n’a que faire de vos soucis financiers. Il n’est là que pour exécuter votre opération. Et, pour parler comme B. Dadié, il faut être un nègre de pure souche pour négocier quelques euros et 10 centimes. Moi qui me veux nègre de pure souche, je voulais payer 475euro. N’est ce pas plus logique ? Diallo, mon boutiquier de La Gueule Tapée m’aurait dit « Grawoule ( C'est pas grave en Wolof ) avec le sourire ». Mais comme j’ai eu ma dose de folie avec les agents du CROUS, j’ai payé sans broncher. Déjà, ne dois-je pas m’estimer heureux de disposer d’une telle somme ? D’autres implorent le ciel pour trouver un proche charitable pour avoir cette somme. J’ai appris au moins une leçon : «Economise tes centimes, cela servira un jour ou l’autre »… Mais au-delà de l’humour, il faut se préparer sérieusement car ici ça ne rigole pas. Alors là, pas du tout.
Et, les problèmes financiers, généralement, commencent sur la route de Paris. Qu’est-ce que je raconte ? Il n’y a pas de route pour Paris. Donc, se préparer c’est aussi régler le problème du billet et tout ce qui suit, car au moment de la délivrance des visas, les billets deviennent comme le dollar américain. Aucune logique, le prix fluctue au gré des humeurs des agences de voyages. J’ai vu un billet aller simple en deuxième classe à un million… N’est ce pas incroyable ? Si l’on s’y prépare pas à l’avance, on risque de faire des détours comme moi qui me suis retrouvé à Ténériffe et à Madrid où par deux fois j’ai failli rater l’avion. Et, imaginez un africain qui se perd sur la route de Paris. C’est le malheur. Mais, c’est surtout une autre dépense qu’il vaut mieux éviter. Donc, se préparer c’est se lever à temps pour faire son dossier, avoir son visa au plus vite et venir à des périodes où le billet est moins cher. Mais, planifier son voyage sur fin Aout et début Septembre, c’est dilapider ses maigres ressources et s’exposer à une galère sans fin à Paris la France.
Paris la France ne rigole pas et certains hommes, dans certaines conditions dans Paris, encore moins. Car, après avoir trouvé un toit et être bien installé, il faut manger. Les femmes en Afrique m’ont abusé sur le sens du mot « courses ». Pour moi, faire les courses c’est aller acheter des habits et quelques autres futilités qu’elles seules affectionnent. Faire les courses à Paris c’est trouver un moyen de manger chaque jour. Quand j’étais au Sénégal, les amis me disaient : « Il faut faire du sport pour dessiner ton ventre. A Paris-La France, ce ventre est retourné tranquillement d’où il est sorti. Et, à ce jour, je n’ai pas encore fait une séance d’entrainement. J’imaginais la tête de mon voisin d’en face si j’allais lui demander du pain au nom du Seigneur auquel il ne croit point. Ce n’est pas possible car ici (Montpellier) et cela doit être un peu pareil partout, les gens vivent en autarcie. C’est à chacun son frigo. Le mien est d’un vide qui me rit au nez. Et, ce même vide chatouille mon ventre. J’entends encore le bruit infernal qu’il fait. J’ai essayé de me concentrer pour l’oublier, ce joli frigo vide, en faisant la sourde oreille. Ventre qui a faim n’entend pas mot et c’est tellement vrai que j’ai du mal a bien restituer l’adage. Ce n’est pas faute d’avoir un garant. J’en ai plusieurs d’ailleurs. Mais en pleine guerre, les tranchées sont séparées même si on est du même camp. Et, finalement chacun mène sa guerre quotidienne. Qui sait si les ventres de mes garants ne sont pas plus « pleurnichards » que le mien. Alors, je fais taire le mien en comptant les étoiles et je me console en me disant demain est un autre jour, peut-être que les rayons apporteront du pain du Séigneur.
Moctar KOITA, Etudiant en Master de Philosophie à Montpellier
La suite pour bientôt