A 34 ans, l’élection de la jeune femme à la présidence de l’Union des Jeunes Avocats du barreau de Paris n’est pas passé inaperçue. Et pourtant Aminata Niakate qui a grandi en banlieue dans une famille nombreuse d’origine malienne ne veut pas représenter une exception, ou une icône de la « diversité ». Rencontre.Aujourd’hui, elle est devenue avocate spécialisée en droit des affaires, présidente pour un an de l’Union des Jeunes Avocats (UJA) du barreau de Paris où elle compte instaurer plus d’égalité femmes-hommes. Engagée dans le parti des écologistes français (EELV), elle est aussi conseillère municipale de l’opposition à Vitry-sur-Seine en banlieue parisienne (Sud-Est), là où elle a grandi.
Cette femme engagée sur plusieurs fronts refuse que les médias lui collent cette étiquette de représentante de la « diversité », de la banlieusarde passée des établissements de zone d’éducation prioritaire au barreau de Paris. Entretien.
Comment êtes-vous devenue avocate ?
En primaire, j’avais envie de devenir dessinatrice, pompier et… avocate. Avant de rentrer au collège, j’ai rencontré une conseillère d’orientation qui avait l’air très sceptique sur mon projet professionnel. Peut-être que sa réaction m’a aussi donné davantage l’envie de devenir avocate. Comme au début je trouvais que 7 années d’études étaient interminables je me suis plutôt orientée vers le métier de juriste.
En sortant de la fac, j’avais l’impression de ne connaître que la théorie et de ne rien savoir faire concrètement alors j’ai décidé de faire un stage que j’ai trouvé dans un cabinet d’avocats à Paris. Cela s’est très bien passé. Ils m’ont recrutée en tant que juriste et m’ont encouragée à passer le barreau de Paris. Je suis donc revenue à mes premières amours.
Vos proches devaient être fiers de vous…
Mes parents ont toujours été très pragmatiques. Ils m’encourageaient. Mais si je n’y arrivais pas, ce n’était pas grave. Pour eux, la réussite n’est pas essentielle. Ce sont les liens familiaux, la religion, le fait d’être une bonne personne qui leur importent plus que d’avoir du succès. Mais ils m’ont encouragée. Je viens d’une famille très nombreuse. Mon père d’origine malienne a eu 6 enfants avec ma mère et 10 enfants avec ma belle-mère.
Dans ma famille, quand on passait au niveau supérieur on avait toujours des cadeaux. C’était un équilibre parfait. On étaient stimulés sans pression.
Êtes-vous devenue un modèle pour la fratrie ?
Je suis l’aînée donc j’ouvrais la voie. Parmi mes frères et soeurs, personne n’a de complexe sur ce qu’il ou elle veut faire. Chacun fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il n’y a pas de sous-métier. J’ai un frère conseiller financier, une soeur dans les ressources humaines, une autre comptable, une coiffeuse, une auxiliaire de vie, …
Personne, pour l’instant, n’a fait de droit… Reste à voir ce que feront les plus jeunes. Si cela stimule les autres tant mieux !
Quels liens entretenez-vous avec le pays de vos parents, le Mali ?
J’aimerais bien passer le barreau du Mali. J’ai de la famille là-bas, et peut-être que c’est une manière aussi pour moi de solidifier mes attaches. Je me sens autant malienne que française. Même si j’ai passé plus de temps ici que là-bas, j’aime faire des allers-retours entre les deux pays.
Comment expliquez-vous l’intérêt des médias pour vous depuis votre élection à la présidence de l’Union des Jeunes Avocats ?
Il y a eu 90 présidents avant moi de l’Union des Jeunes Avocats (UJA). Parfois, j’ai l’impression que mon élection est un peu un fait exceptionnel parce que je suis une femme noire. Mais ça ne devrait pas l’être. Je suis juste quelqu’un comme les autres. Et je revendique cette égalité.
Cette position, ce poste est accessible au plus grand nombre. Je n’aime pas être mise en avant de cette façon parce que cela renvoie l’image de quelque chose d’inaccessible.
Cela m’est arrivé que des copains me disent au moment où je disais vouloir devenir avocate : « Laisse tomber, tu n’y arriveras pas, c’est trop dur, ce n’est pas pour nous. » C’est vrai qu’il y a de l’autocensure … Quand j’étais en Zone d’éducation prioritaire (ZEP) au collège, on se disait que nous ferions tous des BEP (brevet d'études professionnelles), mais pas que nous irions plus loin.
Très jeune mon père m’a dit : « Regarde bien ce que tu veux faire parce que je ne peux pas te payer une école de commerce, donc privilégie l’université. » Et finalement, je suis allée à la fac où j’ai bénéficié d’une bourse. Mes parents nous ont tous poussés à nous renseigner, échanger avec nos profs pour avoir les bons tuyaux et privilégier la voie de l’école gratuite. Peu importe le milieu social ou les origines, l’université est accessible à tous.
J’insiste pour dire que c’est possible de devenir avocate. Je ne suis pas surdouée. Si j’y suis arrivée d’autres peuvent y parvenir.
Pourquoi vos engagements politique, écologiste et féministe sont-ils importants pour vous ?
Dès le début des années fac, je lisais un peu ce qu’il se passait dans le monde. Tout ce que l’on voit, c’est plutôt navrant, désolant. J’avais l’impression de vivre dans une bulle et de ne rien faire pour contribuer ne serait-ce qu’un petit peu à changer les choses. C’était frustrant de regarder passer les trains et surtout en politique de voir que les autres décidaient pour moi. J’avais envie de participer à ce processus de décision sur ce que doit être la société de demain ou, à l’UAJ, ce que doit devenir la profession d'avocat.
Que souhaitez-vous apporter au sein de l’Union des Jeunes Avocats pendant votre mandat ?
La présidente de l’UJA qui m’a précédée, Valence Borgia, a fait adopter par le barreau des évolutions pour renforcer une période de protection dans le contrat de collaboration. Souvent la grossesse est une cause de rupture de collaboration... sans être forcément invoquée.
On se bat aussi pour que les jeunes avocats pères prennent leur congé paternité. Cela a été introduit dans le règlement intérieur du barreau de Paris à l’initiative de l’UJA et porté par ses élus au conseil de l’ordre.
Le père aussi a vocation à participer à l’éducation des enfants. Sa participation allégera la charge qui pèse sur les femmes et qui en payent souvent le prix dans la profession. Soit elles perdent la collaboration, soit elles n’accèdent pas à l’association au sein des cabinets. Dans les grosses structures d’affaires, les associés sont souvent des hommes. Même si la profession se féminise (voir en encadré ci-dessous), les femmes deviennent davantage collaboratrices, ou individuelles (indépendantes, ndlr). Elles restent rarement associées à de grosses structures.
Cela reste un milieu très machiste où il existe toujours de grosses disparités de revenus : plus de 40% de différence d’indemnités entre hommes et femmes. Ce sont encore des combats que l’UJA doit mener car les femmes sont aussi sources de richesses pour les cabinets, donc elles ont vocation à accéder à l’association.
Mais il faut aussi que les femmes se bougent. Il faut que ça vienne d’elles-mêmes. Les femmes vont parfois avoir tendance à s’autocensurer. Même moi, ça m’est arrivé par moments et je me le reproche quand je me dis je ne suis pas légitime, ... alors que les hommes se posent moins la question.
Les femmes aussi doivent être exigeantes et se battre pour leur place dans la profession. Je ne vois pas pourquoi les hommes nous laisseraient une place, comme ça...
D’où vient votre engagement féministe ?
J’ai grandi dans une famille très conservatrice. Ma mère et ma belle-mère n’étaient pas commodes et ont mené la vie dure à mon père. Les femmes de la famille sont presque plus conservatrices que les hommes même si ma mère a évolué là-dessus. Quand j’étais plus jeune, il y avait des corvées pour le ménage, etc. Ce n’était que pour les filles. Alors on a râlé en disant que nous aussi, comme nos frères, on avait des devoirs à faire, on allaient à l’école comme eux !
Au Mali, les hommes travaillent aux champs et les femmes restent dans la cuisine. Finalement, c’est vrai que ce système préserve les femmes parce que le travail aux champs est tellement dur. C’est plutôt bienvenue dans une culture où tout le monde est paysan.
Mais en France, c’est différent. Mes parents ont été sensibles à cela progressivement. Et puis dans notre fratrie, les filles sont les plus grandes et les garçons les plus jeunes. Alors quand elles sont parties de la maison, il a bien fallu que les garçons s’y mettent !
D’une manière générale, je tiens à être traitée comme les autres. Je suis contre la discrimination positive dans l’absolu… mais je vois dans quel environnement je vis et je sais que l’on est obligé de passer par des règles fermes sur la parité pour parvenir à l’égalité. J’espère qu’un jour nous n’aurons plus besoin de la discrimination positive car cela reste de la discrimination. C’est injuste qu’une personne soit écartée parce qu’elle a le mauvais type ethnique, parce qu’il ou elle est blanc, ou est un homme.
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