Table ronde 2: Les grandes difficultés de mettre en place une direction et un appui politique dans les pays où l’épidémie est concentrée
Avant d’ouvrir le débat, la Présidente de la table ronde, Mme CAROLINE CHANG, Ministre de la santé de l’Équateur, a d’abord défini le concept d’« épidémie concentrée ». Elle intervient lorsque le VIH s’est propagé rapidement au sein d’au moins une sous-population déterminée, sans qu’il soit pour autant bien installé dans la population générale.
Dans ce cas, la prévalence du VIH demeure de façon constante au-dessus de 5% dans au moins une sous-population déterminée comme telle alors que la prévalence parmi les femmes enceintes des zones urbaines n’atteint pas 1%. Une épidémie de ce type suggère l’existence de réseaux à risque actifs dans la sous-population et entre sous-populations.
La majorité des pays, en a conclu la Présidente, vit des épidémies concentrées à faible intensité dont les groupes à risque sont les travailleurs sexuels, les toxicomanes, les homosexuels et les détenus qui continuent de souffrir d’exclusion sociale et de stigmatisation. Elle a rappelé qu’à ce jour, un tiers des pays n’ont toujours pas de programmes de lutte contre la discrimination alors qu’un grand nombre d’autres interdit carrément l’accès des groupes à risque à la prévention, aux traitements et aux services d’appui.
En Norvège, les efforts de prévention et de soins se fondent sur le principe « suivre le virus ». Elle cible donc en premier lieu les groupes à risque, a indiqué Mme RIGMOR AASRUD, Secrétaire d’État à la santé et aux services de soins de la Norvège. L’expérience a montré, a-t-elle dit, que les toxicomanes sont ceux qui montrent la plus grande capacité de changer leur comportement. À ce stade, la Norvège travaille sur une loi interdisant l’industrie du sexe car la situation des travailleurs de cette industrie, en particulier les étrangers, reste prioritaire.
La Norvège, a promis la Secrétaire d’État, ne pourra prétendre à aucun succès aussi longtemps que l’épidémie continuera de se répandre dans la population homosexuelle, que de nombreux Norvégiens continueront de croire que le baiser est une voie de transmission du virus et que les personnes infectées par le VIH feront régulièrement l’objet de discriminations.
La clef, a-t-elle martelé, réside dans la prévention et le travail avec les groupes cibles dans l’élaboration et la mise en œuvre des mesures prises. La clef réside aussi et surtout dans une approche fondée sur les droits de l’homme et le respect de la dignité et de l’autonomie des personnes. Il est temps, a-t-elle conclu, que nous ayons le courage d’adopter des politiques audacieuses.
Ces politiques, a renchéri Mme SONAL MEHTA de l’Alliance VIH/sida-Inde, doivent corriger la tendance des gouvernements à répondre sur le plan national au lieu de s’adresser aux groupes les plus affectés. Défendant, à son tour, une approche fondée sur les droits, elle a en effet regretté que l’on n’offre pas toujours aux personnes infectées les moyens de se faire entendre. Dans des pays comme l’Inde, a-t-elle insisté, des sous-populations entières doivent entrer dans la clandestinité.
La première leçon à retenir, a-t-elle estimé, est que les programmes de prévention ne suffisent pas. Il faut financer, de manière adéquate, les stratégies visant à « décriminaliser » les travailleurs du sexe et les homosexuels. Elle a aussi jugé important que les pays soient tenus de rendre compte des mesures qu’ils ont prises contre la discrimination. La représentante du Qatar a regretté que, dans tout cela, on ait oublié le rôle de la famille, vecteur de discrimination mais aussi, lorsqu’elle est soutenue, d’information et d’accès aux soins.
Le rôle de la famille est capital, en particulier, lorsqu’il s’agit d’aider les usagers de drogues à se guérir de leur maladie, a reconnu le Directeur exécutif de l’Office des Nations contre la drogue et le crime. M. ANTONIO MARIA COSTA a rappelé que dans les pays à épidémie concentrée, un tiers des malades du sida sont les usagers de drogues alors que moins de 5% de ces usagers reçoivent un traitement contre leur toxicomanie. Dans la région d’Asie-Pacifique, les homosexuels représentent 50% des personnes infectées, a souligné l’Ambassadeur de l’Australie pour le développement qui a, par ailleurs, réclamé l’abolition de toutes lois interdisant la sodomie, au nom de la lutte contre la discrimination.
Le Directeur exécutif a aussi dénoncé la situation dans les centres de détention et dans les prisons qui hébergent 10 millions de personnes et qui effectuent donc au moins 30 millions de roulements, avec le potentiel de contamination que l’on connaît. Dans les prisons, les taux de prévalence sont 20 fois supérieurs aux taux du monde extérieur. Comme solutions, M. Costa a préconisé une réforme des appareils judiciaires qui mènerait à la substitution des peines en peines plus légères, lorsque cela s’avère possible, ou au placement des malades dans des hôpitaux et non en prison. Le Directeur exécutif a aussi pointé le doigt sur les dangers de l’industrie du sexe dans laquelle travaillent des dizaines de milliers de personnes charriant des centaines de millions de clients.
Au titre des succès, le représentant de l’Ukraine a expliqué que le rythme de la propagation de l’épidémie a baissé dans son pays, grâce aux programmes de prévention de la discrimination, élaborés dans le cadre d’une coopération entre le Gouvernement et la société civile, donc les églises et le monde des affaires.
Mais nous devons faire plus, a-t-il reconnu, en révélant que la prévention ne touche que 40% des toxicomanes et 8% des prisonniers. Le pays doit aussi faire plus pour toucher les migrants. En matière de drogues, a encore dit le représentant, nous devons passer d’une politique de châtiment à une politique de prévention. Une bonne politique de la drogue est une bonne politique du sida, a commenté un orateur de la société civile, qui a aussi attiré l’attention sur la situation des migrants.
En revanche, ses propos sur le fait que « ceux qui travaillent à Vienne sur la drogue ne savent pas ce que font ceux qui s’occupent du VIH/sida à Genève », ont été catégoriquement rejetés par le Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.