Le Mali, à l'instar des autres pays de l'Afrique subsaharienne vit une situation d'extrême pauvreté engendrée par les politiques néolibérales de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. L'annulation de la dette multilatérale de certains pays, dont le Mali, par le G8, aura-t-il son effet escompté sur les secteurs sociaux de base au Mali ? Bréhima Touré est sceptique...
Les progrès de l'économie malienne, ces dernières années, n'ont pas amélioré les conditions sociales des populations. En particulier celles des groupes les plus vulnérables tels que les femmes, les enfants et les personnes âgées. Les domaines de la santé, de l'éducation, de l'eau potable, de l'assainissement et de la nutrition demeurent un luxe accessible à une minorité. L'accès des populations à ces services essentiels reste encore insuffisant.
C'est pourquoi l'annonce, le 11 juin 2005, de l'annulation de la dette multilatérale de dix-huit pays pauvres africains, dont le Mali par les pays du G8, avait été accueillie comme une bouffée d'oxygène. Après que la décision est tombée, Bamako se retrouvait en effet à devoir bénéficier d'une économie de 1042 milliards de francs Cfa dont 42 milliards pour la seule année 2005.
« Ce montant qui constituait, selon Boubacar Sidiki Walbani, directeur général adjoint de la dette publique du Mali, l'encours de la dette multilatérale, représente 60 % du total de la dette du Mali ». « Notre pays devait environ 681,246 milliards de francs à la Banque africaine de développement et à la Banque mondiale. Nous étions redevables auprès du Fmi d'une somme de 61,333 milliards de francs », ajoute-t-il.
Et de poursuivre : « Si cette décision d'annulation n'était pas intervenue, le Trésor public malien aurait remboursé en 2005-2006 à l'Ida la somme de 6,78 milliards de francs. Pour ce qui concerne les fonds prêtés par la Cee à travers l'Ida, nous devions rembourser 178 millions de francs. Enfin, le Fmi attendait de nous, cette année là, plus de 8 milliards de francs ».
Le sourire était sur les lèvres. « Le Mali peut ainsi consacrer une bonne partie du remboursement de sa dette aux investissements dans les secteurs sociaux comme l'éducation, la santé, l'adduction d'eau », expliquait Bakary Koniba Traoré, économiste, ancien ministre et précédemment directeur général de la Dette publique. Le ministre de l'Economie et des Finances Abou-Bakar Traoré y voyait aussi de quoi financer les infrastructures.
Par contre, dans la société civile on faisait la moue. Présidente de la Coalition des alternatives africaines/dette et développement (Cad-Mali), ex-Jubilé 2000, Mme Barry Aminata Touré parlait d'une décision salutaire, pour y ajouter un « mais... ». « L'annulation ainsi décidée donnera un souffle nouveau au budget de nos Etats, mais tant que le commerce n'est pas juste et équitable, les pays africains ne s'en sortiront jamais. Les pays du Nord subventionnent leurs agriculteurs et fixent à vil prix le prix de nos matières premières », dénonce-t-elle
Il y a plus d'un an que la mesure d'annulation est tombée et les Maliens attendent encore de sentir que « quelque chose a changé ». « En tout cas, dans les collectivités de Koutiala, nous n'avons encore bénéficié en rien de ce qui a été dit. Nos écoles, nos centres de santé, nos problèmes d'eau et d'infrastructures, c'est nous qui les gérons avec les moyens du bord et avec l'aide de certains de nos partenaires nationaux et étrangers. Mais on attend, car il faut toujours espérer », explique le président du Conseil de cercle de Koutiala, dans la 3e région administrative du Mali.
Un des secteurs sociaux les plus malades du Mali, qui espère tant de ces programmes, reste l'école. Les enfants maliens étudient dans des conditions difficiles caractérisées par le manque d'infrastructures et d'enseignants. Le pays comptait en tout 17 000 enseignants pour 10 millions d'habitants en 1999. La Belgique, avec la même population, disposait de 250 000 enseignants. Souvent 140 élèves sont entassés dans la même salle de classe d'une trentaine de mètres sur quinze. Aucune école fondamentale au Mali ne dispose de sa propre bibliothèque.
Le Fmi et la Banque mondiale n'ont pas épargné l'école de programmes d'ajustement structurel. Ils y ont introduit plusieurs catégories d'enseignants : vacataires, volontaires, enseignants-parents, contractuels et autres. Les enseignants professionnels furent encouragés à aller à la retraite volontaire anticipée et de nouvelles politiques impopulaires furent introduites : double-division, double-vacation, méthodologie convergente...
Le lexique est sans doute loin d'être épuisé au fur et à mesure de l'évolution des politiques néolibérales. « Pour renforcer la capacité de remboursement obligatoire de la dette par notre gouvernement, les créanciers voraces comme al Banque mondiale, le Fmi et leurs complices ont contraint l'Etat malien à se désengager de l'école qu'ils qualifient de secteur budgétivore non productif, déniant ainsi le droit à l'éducation universellement reconnu.
Ce désengagement de l'Etat fait supporter les charges de construction de classes, de leur équipement, de paiement des salaire des enseignants sur la base de politiques impopulaires et irraisonnables. Que ce soit les écoles communautaires, les écoles de base et autres », déplore la présidente de Cad/Mali.
Comme l'école, les politiques néolibérales ont contraint l'Etat à se débarrasser de la santé publique en la mettant entièrement à la charge de la population. Ce désengagement a aussi occasionné l'émergence dans tout le pays de pharmacies privées, de centres de santé communautaire, de cliniques et cabinets privés inaccessibles à plus de 70 % de la population vivant en dessous du seuil de la pauvreté. « Nos hôpitaux sont devenus des mouroirs, car ils manquent du minimum d'équipement médical, de personnel bien formé. Depuis la dévaluation du F Cfa en 1994, le coût des médicaments est devenu exorbitant, obligeant la majorité des malades à faire recours aux « pharmacies par terre », ajoute Mme Barry.
Au Mali, les taux de mortalité infantile, infanto-juvénile et maternelle sont respectivement de 117/1000, 127/1000, et 577/1000. Pendant la vingtaine d'années de politique d'ajustement structurel, on a assisté à une recrudescence des maladies endémiques comme la tuberculose, la poliomyélite, la méningite... Des affections qu'on croyait appartenir au passé.
Le sida prend aussi des proportions inquiétantes, avec un taux qui dépasse les 3%, seuil d'une affection généralisée. « Nous saluons l'annulation de notre dette. Mais encore faudrait-il que cet argent soit investi comme il se doit. Désormais, les bénéficiaires doivent être impliqués fortement dans l'élaboration des politiques de développement si on veut que celles-ci réussissent. Fini le temps où l'on vient nous imposer des projets ou programmes non conformes à nos aspirations », souligne Mme Traoré Oumou Touré, secrétaire exécutive de la Coordination des associations et Ong féminines du Mali (Cafo).
La paysannerie est également appauvrie par les cultures d'exportation et par la détérioration des termes de l'échange. « Nos marchés sont envahis par les riz subventionnés importés de la Malaisie dont le prix est moins cher que la production locale du paysan de la zone Office du Niger », déplore Hamed Tessougué de l'Ong Action contre la faim. Le Mali était 2e producteur de coton en 1999, mais plus de 80 % de paysans producteurs de coton vivent dans des situations de pauvreté extrême, car le coton ne profite qu'au marché mondial et aux chambres de négoce.
Principale source de remboursement de la dette, cette activité se mène au détriment des cultures vivrières et a appauvri toutes les terres à cause de l'usage abusif des engrais chimiques qui constituent aussi un danger pour la santé publique, car intoxiquant les sources d'eau potable. Près de 40 % des enfants de la zone cotonnière de Sikasso vivent dans la malnutrition.
Ce tableau montre l'impact de la dette. Jugée illégitime par beaucoup, ses effets dramatiques sont visibles dans des pays où le minimum vital de bien-être social est une quête quasi impossible.
Source : PAMBAZUKE News