Quand s’alimenter en nourriture de qualité ou tout simplement manger à sa faim devient une épreuve d’Hercule, c’est le droit le plus élémentaire de la personne humaine qui est piétiné. Au Sénégal, la folie haussière qui gagne les prix des denrées de consommation courante est en train de précariser davantage des ménages flirtant de façon discontinue avec le seuil de pauvreté. A la détérioration de la qualité de la vie des « gorgorlous » viennent se greffer la déprime et le ras-le-bol général de populations inquiètes de leur survie et très revanchardes contre des pouvoirs publics incapables de juguler cette inflation galopante des prix des denrées de première consommation.
Il est déjà 11 heures et le soleil est au zénith. Malgré son ardeur, l’astre diurne qui darde ses rayons irradiants sur le cuir chevelu des Dakarois ne semble guère perturber les ménagères et autres dames qui se faufilent allégrement entre les étals de ce grand marché des Parcelles Assainies, un des quartiers les plus populeux des banlieues de la capitale sénégalaise.
La quête méticuleuse des éternelles denrées nécessaires à la préparation du repas quotidien semble être l’unique source de préoccupation de ces dames aux mille et un ports vestimentaires où les couleurs bariolées se combinent à la féerie des cotonnades. La sérénité ambiante se rompt toutefois dès que la question relative à la hausse des prix des denrées de consommation courante fuse de notre bouche. Sèche et vertement acerbe, tombant comme un couperet, s’avère ainsi la réponse de la dame Mame Seynabou Mboup. « Les gens en ont ras-le-bol…Qu’avons-nous fait pour mériter un tel traitement ? L’huile et le pain tout dernièrement, le lait, le riz, le gaz butane…
Tous les prix flambent en même temps alors que nos maigres ressources ne parviennent même pas à couvrir nos besoins de dépenses…On n’en peut plus. ». Et la réponse de notre interlocutrice de virer bientôt à la supplique. « Regardez toutes ces dames qui sont encore dans le marché alors que midi va bientôt sonner. Elles sont logées à la même enseigne que moi, obligées qu’elles sont de marchander sans répit pour acheter les condiments nécessaires à la préparation des repas. Tout a augmenté dans le marché ? Que pouvons-nous réellement faire avec une dépense maigrelette et inconsistante de moins de 1500 FCfa. Nos maris sont presque tous des gorgorlus ».
A dire vrai, le panier de la ménagère au Sénégal semble s’être troué ces derniers temps-ci avec la folie haussière qui touche les prix des produits de consommation courante. Une inflation galopante qui précarise chaque jour davantage les ménages et qui tend à détériorer drastiquement les conditions de vie des populations. Le marché, premier lieu d’interaction économique pour soupeser l’impact du sur-coût des denrées, en est devenu morose tant s’avèrent intenables ces augmentations tous azimuts, surtout pour les ménagères désormais confrontées sans rémission à des difficultés quasiment infranchissables. Et ce n’est pas la dame Fama Seck qui dira le contraire, elle qui avoue sans fioritures que la hausse vertigineuse des prix des produits a fortement « fragilisé » son panier de ménagère. Pour preuve, elle est à présent obligée de se passer de certains ingrédients qui donnaient plus de tonus à ses repas. Pis, martèle Ndèye Lô, autre ménagère rencontrée dans le marché, certaines familles sont aujourd’hui obligées de supprimer le dîner pour la simple raison que la détérioration des conditions de vie avec cette inflation sans répit de l’alimentation comme de l’électricité, de l’eau et du loyer ne permet plus aux pères et mères de famille de prendre en charge convenablement tous les besoins domestiques.
30 % des Sénégalais « pauvres » ou au « chômage »
En vérité, les prix des denrées de première nécessité désormais soumis à une hausse exponentielle ne semblent plus à la hauteur de la bourse du Sénégalais moyen. Au marché, les prix du riz, de l’huile, de la farine, du pain et autres produits de consommation courante dépassent l’entendement des clients. Conséquence : les ménagères sont contraintes de faire des pieds et des mains pour s’en procurer. Cette augmentation inconsidérée des prix du riz (plus de 50 FCfa sur le kilo), du lait en poudre qui est passé de 900 à 1500 FCfa, voire du pain dont les nouveaux prix affichent 175 FCfa pour la baguette dite de référence de 210 gr, 90 FCfa pour la baguette de 105g et 65 FCfa pour celle de 75 gr, est venu se greffer à la hausse des coûts du gaz butane, de la viande, des carburants et tout dernièrement de l’huile (125 FCfa sur le litre) pour précariser davantage les foyers des « gorgorlus ». Dans un pays où le taux de pauvreté se situe à un peu moins de 50% des ménages, selon le mémorandum de la Banque mondiale intitulé « Sénégal, à la recherche de l’emploi, le chemin vers la prospérité », rendu public dernièrement à Dakar, où le chômage et le sous-emploi (respectivement à des taux de 13 % et 30 %) demeurent criards, et/où plus de la moitié des travailleurs touchent moins que le salaire minimum, soit moins de 80 dollars Us (36.892 FCfa) par mois, les conditions d’une altération drastique de la qualité de la vie semblent se réunir de plus en plus. « Les Sénégalais sont fatigués » , disait déjà au tout début des années 80 feu le juge Kéba Mbaye. Ils semblent aujourd’hui plus fatigués sous les coups de boutoir de l’inflation discontinue qui gagne les prix des denrées de consommation courante. Conséquence : la grogne générale semble couver insidieusement dans la pseudo-attitude de sérénité du Sénégalais moyen. Alioune Diallo, père de famille rencontré à la Médina, exprime avec dépit ce ras-le-bol général. « Le calvaire que nous vivons avec ces hausses répétées des prix depuis plus d’un an risque de dégrader sérieusement nos moyens et nos raisons de vivre. Seul Dieu sait à quel point nous souffrons avec nos familles. Notre pouvoir d’achat s’érode dangereusement et nous avons de réelles difficultés pour envoyer nos enfants à l’école, les vêtir et les nourrir correctement, voire les loger ».
L’Etat, premier responsable de la crise
Pour les populations, le premier responsable de la flambée persistante des prix au Sénégal se trouve être l’Etat qui s’avère incapable d’appliquer des politiques cohérentes pour maîtriser l’inflation. Pourrait-on cependant leur en tenir rigueur quand on se rend compte que les pouvoirs publics ne semblent avoir aucune emprise sur cette hausse généralisée des prix et que leurs diverses mesures d’allègement fiscal et de subventions sur les produits alimentaires ont été vouées à l’échec. Ainsi en est-il de la subvention du prix de la farine, de la suppression des droits de douane sur les produits de grande consommation et de la suppression de la Tva (taxe sur la valeur ajoutée) relative à la farine et au pain. Conséquence malheureuse : le renchérissement drastique des produits à courant usage sans exclusive, du pain à l’huile en passant par l’électricité, le gaz butane, le lait vient s’ajouter à un certain nombre de dysfonctionnements manifestes comme la spéculation forcenée sur le ciment, le forcing sur la tomate ou la hausse erratique du prix du riz pour martyriser davantage les bourses des ménages et les foyers déjà précarisés des « gorgorlus ». L’aggravation de la pauvreté qui touche aujourd’hui toutes les couches sociales semble être pour ainsi dire la chose la mieux partagée dans le pays, comme l’attestent par ailleurs les données statistiques de l’enquête de perception des populations.
Désabusés par le seuil atteint par l’inflation des prix, la dame Maïmouna Ciss et son époux, le sieur Médoune Thiam, ne se retiennent point pour justifier tout bonnement la situation actuelle par l’« incurie et l’incompétence d’un Etat plus préoccupé par les intérêts partisans et d’une meilleure qualité de la vie d’une certaine catégorie de citoyens ». Décriée par les médias, les syndicats de travailleurs, les économistes et les populations, cette situation de hausse généralisée des prix est malheureusement en train de devenir « préoccupante » pour les Sénégalais, toutes couches sociales confondues. Que faire réellement face à un marché qui se détériore de plus en plus en plombant d’une façon délétère les bourses des ménages ? Pour beaucoup de pères de famille comme Pape Gningue, habitant du village de Yoff et à la retraite, « les ménages vont devoir se passer de beaucoup de commodités liées à une vie décente. Manger à sa faim dans le contexte d’aujourd’hui va devenir de plus en plus difficile. Je n’en veux pour preuve que mes difficultés pour assurer à mes trois fils encore écoliers, chaque jour comme avant, le petit-déjeuner à cause de la hausse du prix du pain ». De là à dire que le Sénégal aura du mal à atteindre certains objectifs de développement du Millénaire liés à l’indice de développement du capital humain, il n’y a qu’un pas facile à franchir. Le bout du tunnel semble encore loin pour les ménages sénégalais confrontés dans un contexte global de pauvreté à un renchérissement des prix que ni le marché mondial ni l’inflation du baril de pétrole de pétrole ne semblent pouvoir à eux-seuls justifier, sur le plan purement économique, comme l’a annoncé récemment l’économiste Moubarack Lô.
Par Moctar DIENG, Sud Quotidien.