L’essentiel des échanges extérieurs du Mali transite par le Port de Dakar. Mais les désagréments rencontrés risquent de jouer au profit des autres ports concurrents de la sous-région.
La guerre civile qui a déchiré la Côte d’Ivoire au cours des cinq dernières années a entraîné un important transfert d’activités au bénéfice du Sénégal avec, notamment, le détournement du trafic marchandise malien qui transitait auparavant par le port d’Abidjan. Avant la crise, 90% du fret en direction de Bamako transitait par le port ivoirien. Ce volume est devenu, aujourd’hui, quasiment nul.
Les distorsions signalées risquent de pousser les opérateurs maliens à moins emprunter le corridor Dakar-Bamako, et à reporter leur choix sur un autre port de transbordement.
Le Mali, qui n’a pas de débouché direct sur la mer a, depuis lors, le Sénégal comme principal partenaire pour son commerce extérieur chiffré, en 2007, à quelque 1500 milliards de francs CFA (2,29 milliards d’euros).
Le port autonome de Dakar remplit un certain nombre de conditions qui lui valent, à ce jour, la préférence des chargeurs maliens, par rapport à ses concurrents sur la côte atlantique ouest-africaine que sont Abidjan, resté trop longtemps en rade, Tema au Ghana, Conakry, Lomé et Cotonou. C’est le port le plus proche de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Les chargeurs maliens jouissent de commodités exceptionnelles au sein des Entrepôts maliens au Sénégal (EMASE), ouverts dans l’enceinte du port de Dakar et en phase très avancée de modernisation : de vastes aires de stockage et d’entreposage et un réseau ferroviaire et de pipelines. Il s’y ajoute des avantages tarifaires assez incitatifs : abattement de 10% sur le loyer des hangars et de 50% sur les redevances embarquement / débarquement de marchandises ; exonération de la TVA pour les prestations portuaires, etc.
Les Entrepôts du Sénégal au Mali (ENSEMA), ouverts en 2006 à Bamako, prolongent utilement les EMASE de Dakar. Ce port sec, qui s’étend sur quelque six ha, a très rapidement fait ses preuves, en permettant une rotation plus rapide des wagons et camions de marchandises entre Dakar et Bamako. Et dans de meilleures conditions de sécurité. La combinaison du rail et de la route pour le transport marchandise dans le corridor Dakar-Bamako est un atout de plus à l’avantage du Sénégal.
Tracasseries
Le hic, ce sont les multiples tracasseries : contrôles intempestifs, lenteurs procédurières, prélèvements indus. Les faux-frais qui renchérissent les coûts de convoyage des marchandises se mesurent au nombre impressionnant de postes de contrôle fixes et mobiles qui jalonnent le trajet. A chaque arrêt, les transporteurs sont obligés de laisser un « pourboire » qui peut atteindre 76 voire 152 euros, selon le bon vouloir des policiers, douaniers et gendarmes. Les retards que leurs contrôles répétés occasionnent altèrent certaines marchandises lorsqu’il s’agit de denrées périssables.
Les goulets d’étranglement sont également d’ordre administratif. L’autorisation préalable à l’exportation, instituée en juin 2007 par les autorités maliennes pour atténuer la tension sur le prix de la viande sur le marché local, constitue une entrave. Ce sésame est gratuit ; mais il ne faut pas moins de quinze jours pour l’obtenir, à moins de passer par le réseau mafieux organisé autour. La TVA appliquée sur les produits de l’agriculture et de l’élevage maliens à l’entrée du Sénégal est une autre contrainte déplorée et, par ailleurs, contraire aux textes communautaires qui stipulent la libre circulation des produits de cru.
Ensuite, si les 1200 km qui séparent les deux capitales sont presque entièrement bitumés, la voie ferrée, elle, laisse à désirer. La société Transrail, concessionnaire du rail entre le Sénégal et le Mali, n’est pas aussi performante, faute d’être à jour avec son programme d’investissement pour la modernisation de ses infrastructures et moyens de transport, conformément à ses engagements.
Les distorsions signalées risquent de pousser les opérateurs maliens à moins emprunter le corridor Dakar-Bamako, et à reporter leur choix sur un autre port de transbordement. Ils s’en sont récemment ouverts à des officiels sénégalais, dont un représentant du Ministère sénégalais de l’économie maritime et le directeur général du Port autonome de Dakar, lors d’une récente rencontre dans la capitale malienne avec les sociétaires de la Chambre de commerce de Bamako. Ils ont clairement laissé entendre que si des solutions n’étaient pas rapidement trouvées à ces problèmes récurrents, ils n’hésiteraient point à faire jouer à fond la concurrence entre les différents ports qui convoitent tous le fret malien.
Volonté
Les deux parties se sont néanmoins accordées sur la nécessité de trouver ensemble les moyens de briser définitivement les goulets d’étranglement en question. La volonté politique existant de part et d’autre des deux Etats, il reste à la traduire en actes sur le terrain, à réduire le nombre de postes de contrôle et à bannir les tracasseries de tous ordres.
A l’évidence, le corridor Dakar-Bamako ne saurait être laissé sans contrôle, au risque de voir se développer des trafics illicites. Récemment des douaniers ont saisi sur cet axe des quintaux de cannabis dissimulés dans un camion de marchandises. Un rapport du vérificateur général du Mali a révélé que sur la période 2003-2006 des camions-citernes chargés à Dakar d’hydrocarbures pour le marché malien auraient pris les chemins de traverse vers d’autres pays, en violation des dispositions légales et réglementaires en la matière, occasionnant au fisc malien une perte estimée à 22 millions d’euros. Les administrations douanières du Sénégal et du Mali se sont résolument engagées à œuvrer pour une plus grande fluidité du commerce entre leurs deux pays, à réduire les contrôles sur la route, mais en y maintenant des garde-fous contre la fraude. Côté voie ferrée, Transrail compte investir 47 millions d’euros, sur cinq ans, pour faire passer le volume annuel de marchandises de 650 000 à 2 000 000 tonnes.
Par Amadou Fall, Dakar
Source : Les Afriques