Le secteur du commerce fait l'actualité cette semaine avec la baisse arrêtée par le gouvernement des prix de certaines denrées de première nécessité. La mesure, prise en réponse à une crise internationale sur les produits de base, peine à être effective du fait du refus des commerçants qui ont développé leurs arguments. Le ministre du Commerce, Amadou Niang revient sur le long processus qui a abouti à la prise de cette mesure de baisse. Dans cet entretien, il fait le bilan des 48 heures d'application de la décision gouvernementale, apporte des éclairages sur les arguments des opérateurs économiques, annonce les perspectives de son département et les lignes directrices du secteur qui lui est confié.
Monsieur le ministre, 24 heures après la baisse annoncée des prix de certaines denrées de Consommation courante, quel bilan en tirez-vous pour le moment ?
La mesure de baisse a été annoncée par le Conseil national de la consommation qui s'est réuni le 2 février dernier. A cette occasion, nous avons consulté l'ensemble des acteurs du secteur du commerce comme les commerçants, les industriels, les opérateurs économiques entre autres. A la fin de cette concertation, tous les acteurs ont accepté la mesure. Nous nous sommes engagés à la mettre en oeuvre ensemble. Donc, au bout de 48 heures, l'ensemble des corps de contrôle est sur le terrain et est en train de veiller au grain pour savoir si la mesure est bien appliquée. Je ferai un bilan d'ensemble le lundi (Ndrl : aujourd'hui) pour pouvoir mesurer les forces et les faiblesses de l'application de la mesure. Je constate que sur le terrain, beaucoup de saisies ont été déjà effectuées, mais il faut consulter le dossier pour savoir les notifications de ces saisies, c'est après cela que nous pourrons travailler techniquement sur les résultats enregistrés.
L'on constate sur le terrain que la mesure de baisse prise par le gouvernement peine à être effective du fait du refus des commerçants qui disent n'avoir pas été consultés au préalable...
Il faut rappeler que tout le monde a été associé à la démarche. D'abord, j'ai tenu beaucoup de réunions sectorielles avec les opérateurs économiques niveau du département. Ensuite, nous avons réuni le Conseil nationaI de la consommation, une réunion qui a duré 4 heures d'horloge. Au terme de la réunion, aucun acteur n'a élevé la voix pour contester la mesure. Bien au contraire, les commerçants ont lancé eux-mêmes un appel à la télévision à leurs homologues de tout le pays pour leur demander de respecter les nouveaux prix qui ont été fixés. Et je pense que l'appel a été entendu. Il reste à savoir si tous les secteurs continuent à consentir à l'application de la mesure. Mais je tiens à rappeler que la mesure sera appliquée avec rigueur : cela veut dire que s'il y a des difficultés nous les examinerons sectoriellement avec les commerçants, mais il n'est pas question de renoncer à administrer les prix.
Vous dites qu'il y a eu consensus autour de la question, mais le vice-président de l'Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois), Moustapha Lô a dit clairement qu'il est impossible pour les commerçants d'appliquer les prix fixés parce qu'ils n'ont pas été préparés à cela. Ne fallait-il pas leur donner le temps d'écouler leur stock ?
Je n'ai pas entendu cette déclaration de Moustapha Lô, mais d'après les informations que j'ai reçues, il a parlé en tant qu'importateur de céréales. En effet, il a considéré que la marge de bénéfice qui est laissée pour les céréales est très faible. Et même si cela a été le cas, ce serait l'avis d'un opérateur et nos services n'auraient aucune difficulté à l'examiner. Pour le moment, les prix des céréales ont été fixés par arrêté et ils sont d'application.
Une autre difficulté d'application de la mesure concerne le riz. D'ailleurs les acteurs de la filière locale ont tenu un point de presse pour dire que 250 francs fixés sur le kilogramme du riz local est en-deçà du prix de revient. Peut-on s'attendre à des aménagements sur le prix ?
Il faut d'abord qu'ils collectent le riz avant de poser la question. Je pense que la Société de commercialisation et de promotion du riz local n'a pas encore commencé à collecter le riz. C'est après la collecte que la détermination du prix va se faire.
Qu'est-ce qui est prévu en ter¬mes de mesures d'accompagnement ? La levée des taxes ou le retour à la subvention ?
Nous sommes dans le domaine du commerce et celui-ci est une activité très mouvante. Vous observez les cours mondiaux des produits de base, ils sont en perpétuelle évolution et nous ne sommes pas sans le savoir car nous sommes des professionnels. C'est notre métier d’observer ces cours pour prendre les mesures intérieures qui permettent d’administrer les prix d'une manière efficiente. Pour le moment, nous avons fixé les prix de l'huile et du sucre au niveau industriel ainsi que le riz au niveau des importateurs. C'est à partir de ce système de fixation des prix, en gros que nous avons fait l’arbitrage pour tous autres segments qui suivent à savoir le demi-gros et le détail.
Pour tenir compte de la flexibilité nécessaire dans un secteur en perpétuel mouvement, nous avons prévu une révision des prix dans le sens de la hausse, de la baisse ou de la modification des marges, en tout cas dans le sens qu'appelle l'examen des questions telles qu'elles se présentent sur le marché international ou sur le marché intérieur. Mais le principe de la flexibilité est déjà dans le dispositif légal.
Mais est-ce que vous avez pris en compte les fluctuations du marché avec les changes, le prix des hydrocarbures entre autres ?
Nous travaillons sur des dossiers d'importations dans lesquelles il y a le prix Caf et le prix de déclenchement de tout le système. A partir du prix Caf; on applique les taxations intérieures, la marge du grossiste et celle du demi-grossiste et du détaillant Donc pour qu'il ait changement, il faut qu'il y ait d'autres opération: d'importations et changement du prix Caf. Pour le moment, nous avons travaillé sur des dossiers et les stocks qui sont au Sénégal ont été mis sur le marché à partir de ces dossiers d'importation.
En partant des arguments développés par les commerçants sur le niveau jugé très bas des prix fixés, peut-on s'attendre à de réaménagements allant dans le sens de leur permettre de rattraper les éventuelles pertes ?
Le Conseil national de la consommation a été institué, il y’a près de 15 ans pour faciliter la concertation entre acteurs dans un système économique moderne. C'est dire que les acteurs modernes s'écouter et prendre des décisions. C'est pourquoi la décision a été prise par le Conseil national. Dans les régions de l'intérieur, 14 sessions de conseils régionaux se tiendront à partir de lundi, mardi et mercredi sur toute l'étendue du territoire national. Et comme je vous l’ai dit tantôt, ces conseils vont se réunir pour tenir compte des réclamations et des nouveaux dossiers. Ils tiendront compte de nouvelles données plus favorables ou moins favorables, c'est cela la vocation du Conseil de la consommation.
Donc on peut s'attendre à une révision des prix déjà fixés ?
Il n'y a pas dans la vie une décision ad vitam aeternam, quel que soit le secteur considéré.
II est fait cas d'une loi qui ne permet pas de fixer un prix au-delà de deux mois. Cette disposition ne limite-t-elle pas dans le temps votre ambition d'accompagner les Sénégalais ?
Dans cette initiative de fixation des prix, l'enjeu n'est pas le côté règlementaire. C'est l'Etat qui décide et c'est l'Etat qui décide des règlements. S'il y avait une difficulté à appliquer un règlement, c'est l'Etat qui est chargé de changer le règlement. Si nous prenons une mesure dont la durée de vie est de 4 mois, rien n'empêche à l'Etat de prendre, au bout de ces 4 mois, une autre mesure temporaire. C'est la première observation.
S'il y avait une difficulté à appliquer des mesures temporaires, l'Etat interviendrait simplement par décret. De ce point de vue; nous sommes dans le domaine de compétence de l'Etat et il ne peut pas y avoir de verrous ou de complexité au plan règlementaire de sorte qu'une politique ne puisse pas s'appliquer. Donc, je trouve que cette question n'est pas une question d'enjeu par rapport au dossier que nous sommes en train de dérouler.
L'Etat persiste à administrer les prix, mais en face, les commerçants disent ne pas être prêts à suivre les décisions prises. Ne va-t-on pas vers une confrontation ?
Je vous rappelle le processus, tel qu'il a été opéré. Les prix ont été arrêtés au niveau industriel pour le sucre et l'huile et au niveau importateur pour le riz. Chaque catégorie dispose de sa marge. Maintenant, l'appréciation qu'un acteur peut avoir sur le niveau d'une marge peut être portée à l'administration avec des arguments. Nous sommes dans un système de fixation administrative ou d'homologation et dans les deux cas, il est prévu de recourir à l'Etat pour introduire des requêtes si elles sont fondées.
N'est-il pas difficile de fixer un prix à un privé qui est le seul à maîtriser le coût de son produit?
Il y a des enquêtes préalables à la fixation des prix au niveau industriel, il y aussi une fonction de contrôle. Cette fonction de contrôle permet de passer en revue l'ensemble des coûts de l'entreprise, mais avec des justificatifs. Le justificatif de l'énergie, c'est la facture de la Senelec ; le justificatif de l’hydrocarbure, c'est la facture du fournisseur, le justificatif du salaire, c'est le bulletin de salaire etc. C'est à partir de ce contrôle sur pièce que l'administration agrée les coûts qui ont été présen¬tés par l'industriel et ensuite en addi¬tionne les taxes intérieures et les marges.
Peut-on avoir une idée sur les saisies que vous avez opérées au cours de l'opération ?
Une semaine avant le démarrage effectif de la mesure, on avait pris deux camions de 65 tonnes, ce qui fait 130 tonnes de sucre. Pour le vendredi, il y a environ 3 tonnes, ce qui fait un total de 153 tonnes de sucre.
Quelles sont les pénalités qui sont retenues contre les contrevenants ?
Les pénalités sont déterminées en fonction de l'infraction.
Si l'on vous suit bien, l'Etat n'envisage pas de revenir sur sa décision d'administrer les prix ?
La décision sera appliquée intégralement.
Après que la mesure a été prise de fixer les prix, avez-vous reçu officiellement ou officieusement une réclamation d'opérateur économique, d'un industriel ou d'un acteur contre la décision ?
Je considère que dès lors que nous avons pris la voie d'une concertation officielle à travers un organe officiel qui est le Conseil national de la consommation, tout acteur qui aurait un grief fondé devrait s'adresser à l'administration qui a eu la courtoisie de convoquer tous les acteurs pour une concertation. Au moment où je vous parle, j'entends les commentaires dans les radios et les télévisions, mais personne ne m'a saisi d'un grief.
Si nous sommes saisis, le grief sera saisi et la réponse sera donnée le même jour. J'invite les membres du Conseil national de la consommation et ceux qui ne sont pas membres à adopter cette démarche.
D'aucuns jugent la mesure poli¬tique car l’Etat n'a pas voulu en rajouter à la crise de l'électricité...
Avec la hausse des prix des produits de base au niveau mondial, chaque Etat a apporté sa réponse et, le président de la République a apporté sa réponse depuis 2008 en organisant un Conseil présidentiel sur la question. Ainsi, il avait dit que la seule réponse que le Sénégal devait donner est d'améliorer l'offre. C'est au terme de ce Conseil qu'il a lancé la Goana, aujourd'hui, sur le marché nous n'avons aucune difficulté sur les céréales. Donc nous avons réussi à 50% entre 2008 et 2010 à apporter une réponse correcte à la crise des produits de base. Mais il se trouve que le tout sur le marché n'est pas fait de céréales, il y a d'autres produits industriels pour lesquels nous avons amélioré la productivité de nos outils, c'est le cas du sucre, de l'huile, de la tomate, du savon et d'autres produits. Nous sommes sur la bonne voie. Cette année, le Sénégal a produit 105 mille tonnes de sucre alors que la demande nationale est de 150 mille tonnes. Donc, nous sommes à 45 mille tonnes de l’autosuffisance en sucre. Maintenant, il faut faire face à la situation par rapport aux secteurs où nous n'avons pas encore atteint d'autosuffisance.
Par rapport à la fixation des prix, peut-on avoir une idée sur l'enveloppe financière dégagée pour accompagner la mesure ?
Je ne suis pas décideur dans ce domaine, mais je suis preneur.
Jusqu'où l'Etat peut-il aller dans cette initiative d'administration des prix ?
C'est une réponse à une crise des prix des produits de base sur le marché international. S'il n'y a plus de crise sur les prix de produits de base, l'idéal est de laisser les acteurs jouer libre et faire jouer la concurrence. C'est une réponse que je souhaite conjoncturelle.
SOURCE : L’Observateur Propos recueillis par NDIAGA NDIAYE