Plusieurs milliers de Sénégalais ont manifesté, jeudi 23 juin 2011, pour protester contre le projet de réforme constitutionnelle voulue par le président Abdoulaye Wade, obligeant ce dernier à reculer. A huit mois de l'élection présidentielle, Séverine Awenengo Dalberto, historienne au Centre d'études des mondes africains, décrypte "l'une des manifestations les plus importantes de ces dix dernières années" au Sénégal.
Est-ce que les manifestations de jeudi vous ont surpris ?
Non. Depuis quelques années, il y a de plus en plus de mobilisations au Sénégal, principalement pour des questions de conditions de vie, comme le coût de la vie et les coupures d'électricité. Depuis un an, il y a également une structuration de mouvements citoyens, avec notamment le mouvement "Y en a marre", qui s'était déjà manifesté au forum social mondial qui s'est tenu à Dakar en 2011.
Mais l'ampleur de la manifestation était surprenante. Il y avait des jeunes, mais également des Sénégalais lambdas, des femmes, des jeunes filles, des gens de 50 ans. Les manifestations précédentes étaient essentiellement menées par des jeunes. Là, ce n'était pas uniquement le cas. De fait, c'est l'une des manifestations les plus importantes qui se soient déroulées ces dix dernières années, et elle a porté sur une question éminemment politique : le changement de la Constitution et la peur d'un hold-up électoral avec une dévolution monarchique du pouvoir à Karim Wade, le fils du président. La remise en cause de la légitimité de Karim Wade est importante depuis plusieurs années. Il n'a jamais réussi à se faire élire et le président Wade l'a intégré à l'appareil politique par voie ministérielle. Il en a fait un ministre d'Etat alors même qu'il avait perdu des élections locales.
Est-ce que les manifestations de jeudi vous ont surpris ?
Non. Depuis quelques années, il y a de plus en plus de mobilisations au Sénégal, principalement pour des questions de conditions de vie, comme le coût de la vie et les coupures d'électricité. Depuis un an, il y a également une structuration de mouvements citoyens, avec notamment le mouvement "Y en a marre", qui s'était déjà manifesté au forum social mondial qui s'est tenu à Dakar en 2011.
Mais l'ampleur de la manifestation était surprenante. Il y avait des jeunes, mais également des Sénégalais lambdas, des femmes, des jeunes filles, des gens de 50 ans. Les manifestations précédentes étaient essentiellement menées par des jeunes. Là, ce n'était pas uniquement le cas. De fait, c'est l'une des manifestations les plus importantes qui se soient déroulées ces dix dernières années, et elle a porté sur une question éminemment politique : le changement de la Constitution et la peur d'un hold-up électoral avec une dévolution monarchique du pouvoir à Karim Wade, le fils du président. La remise en cause de la légitimité de Karim Wade est importante depuis plusieurs années. Il n'a jamais réussi à se faire élire et le président Wade l'a intégré à l'appareil politique par voie ministérielle. Il en a fait un ministre d'Etat alors même qu'il avait perdu des élections locales.
Abdoulaye Wade a retiré le projet de réforme contesté. Malgré tout, peut-on s'attendre à de nouvelles manifestations avant l'élection présidentielle de 2012 ?
Cela va dépendre de la manière dont Abdoulaye Wade continue sa préparation électorale. On peut considérer que cette réforme retirée était une tentative de mettre en place des dispositifs pour faciliter sa victoire ou celle de son fils lors des élections de 2012, alors même qu'il sait être contesté et qu'il sait ne plus être porté par la majorité de la population sénégalaise. Il met donc en place des dispositifs, avec le soucis de l'apparat démocratique, par le moyen de lois. Pour retirer cette loi, il a pris comme argument l'intervention de chefs religieux, de manière à disqualifier la rue. Au moment du retrait, le garde des sceaux a bien souligné que les députés étaient les représentants du peuple et que ceux qui étaient dans la rue étaient des terroristes.
Wade a déjà essayé de modifier les dispositifs électoraux. Au mois de mai, il a voulu scinder les collectivités locales qui ne lui étaient pas favorables et nommer à la place des élus des délégations spéciales. Cela a donné lieu à des mobilisations fortes, notamment dans la région de Rufisque.
La fraude ne se fera pas forcément le jour de l'élection, mais peut-être dans la mise en place de dispositif en amont. Mais si Wade recule comme hier, il est fort probable que les Sénégalais attendent le jour de l'élection. Je ne pense pas qu'il y aura une mobilisation pour le faire partir avant. Au Sénégal, il y a un système d'expression plus démocratique, avec une certaine liberté de la presse et des régulateurs sociaux. Mais si Abdoulaye Wade gagne en 2012, il est probable que les Sénégalais descendent dans la rue pour le faire partir.
Vous paraît-il possible que M. Wade gagne les élections de manière honnête en 2012 ?
Cela me paraît assez improbable. L'élection de 2007 a été une surprise pour beaucoup, parce que nous sentions une contestation du pouvoir présidentiel et nous n'imaginions pas qu'ils allaient massivement voter pour M. Wade dès le premier tour. Il y a eu certainement quelques fraudes électorales, mais il jouissait encore d'une certaine légitimité populaire et bénéficiait d'un contexte économique favorable. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Il y a à la fois de la lassitude et de la contestation. Même s'il est difficile de faire des pronostics, cela me paraît improbable qu'il gagne les élections.
Après, le scrutin reste tout de même incertain. Il faut prendre en compte la dispersion de l'opposition, qui a des difficultés à mettre en place une candidature unique. Il y a bien l'ancien premier ministre Macky Sall, passé dans l'opposition, qui recueille un certain nombre de soutiens, mais pour l'instant, il n'y a pas d'entente sur une candidature unique. Enfin, il ne faut pas oublier que Wade a l'appareil d'Etat entre les mains et qu'il peut jouer de la redistribution juste avant les élections.
Propos recueillis par Thomas Baïetto, LE MONDE
Cela va dépendre de la manière dont Abdoulaye Wade continue sa préparation électorale. On peut considérer que cette réforme retirée était une tentative de mettre en place des dispositifs pour faciliter sa victoire ou celle de son fils lors des élections de 2012, alors même qu'il sait être contesté et qu'il sait ne plus être porté par la majorité de la population sénégalaise. Il met donc en place des dispositifs, avec le soucis de l'apparat démocratique, par le moyen de lois. Pour retirer cette loi, il a pris comme argument l'intervention de chefs religieux, de manière à disqualifier la rue. Au moment du retrait, le garde des sceaux a bien souligné que les députés étaient les représentants du peuple et que ceux qui étaient dans la rue étaient des terroristes.
Wade a déjà essayé de modifier les dispositifs électoraux. Au mois de mai, il a voulu scinder les collectivités locales qui ne lui étaient pas favorables et nommer à la place des élus des délégations spéciales. Cela a donné lieu à des mobilisations fortes, notamment dans la région de Rufisque.
La fraude ne se fera pas forcément le jour de l'élection, mais peut-être dans la mise en place de dispositif en amont. Mais si Wade recule comme hier, il est fort probable que les Sénégalais attendent le jour de l'élection. Je ne pense pas qu'il y aura une mobilisation pour le faire partir avant. Au Sénégal, il y a un système d'expression plus démocratique, avec une certaine liberté de la presse et des régulateurs sociaux. Mais si Abdoulaye Wade gagne en 2012, il est probable que les Sénégalais descendent dans la rue pour le faire partir.
Vous paraît-il possible que M. Wade gagne les élections de manière honnête en 2012 ?
Cela me paraît assez improbable. L'élection de 2007 a été une surprise pour beaucoup, parce que nous sentions une contestation du pouvoir présidentiel et nous n'imaginions pas qu'ils allaient massivement voter pour M. Wade dès le premier tour. Il y a eu certainement quelques fraudes électorales, mais il jouissait encore d'une certaine légitimité populaire et bénéficiait d'un contexte économique favorable. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Il y a à la fois de la lassitude et de la contestation. Même s'il est difficile de faire des pronostics, cela me paraît improbable qu'il gagne les élections.
Après, le scrutin reste tout de même incertain. Il faut prendre en compte la dispersion de l'opposition, qui a des difficultés à mettre en place une candidature unique. Il y a bien l'ancien premier ministre Macky Sall, passé dans l'opposition, qui recueille un certain nombre de soutiens, mais pour l'instant, il n'y a pas d'entente sur une candidature unique. Enfin, il ne faut pas oublier que Wade a l'appareil d'Etat entre les mains et qu'il peut jouer de la redistribution juste avant les élections.
Propos recueillis par Thomas Baïetto, LE MONDE