Nouvellement érigée en région par le Président Wade, la ville de Kédougou vit au rythme d’un réel paradoxe. En effet, la pauvreté est la chose la mieux partagée dans cette zone qui, dit-on, est nichée sur les montagnes pittoresques et sur l’or. Pourtant, le métal précieux ne semble présent que dans les esprits des gens. La ville caillouteuse est déserte le jour, morne et sombre la nuit. Ici, la précarité se lit sur tous les visages. C’est peut-être ce qui explique grandement la propension des populations à se débarrasser, le plus rapidement possible, de leurs filles, par le biais du mariage précoce. Histoire de faire moins de bouches à nourrir. Voyage au cœur de la nouvelle région.
Pour aller à Kédougou, il faut apprendre à avoir de la patience. La ville n’est que trop éloignée. Plus de 200 km de la lointaine ville de Tambacounda ! Entre le mythique parc animalier de Niokolo-Koba et les célèbres mines d’or de Sabodola. Mais ne vous y trompez pas, les Kédougois ne roulent pas sur l’or ! Tout du décor plaide pourtant en faveur d’une économie florissante. Contrée très pluvieuse, paysage touristique, montagnes et chutes d’eaux pittoresques, toutes espèces d’animaux rares, sous-sols très riches. Mais Kédougou s’entête fatalement dans sa précarité. Comme dans un implacable destin. Un centre-ville de quelques dizaines de mètres de diamètre, avec une station à essence de deux pompes et sans toiture, des cailloux à perte de vue et des cases qui font penser à un gros village perdu dans le bled du Sénégal Oriental. Voilà ce à quoi doit s’attendre le voyageur qui pose ses pieds pour la première fois dans la ville de Kédougou.
La loi de l’obscurité
La nuit, l’obscurité faisant la loi, il est impossible de voir quelque chose dans ce que l’on pourrait assimiler à un centre-ville. Les rares enseignes lumineuses des grandes sociétés de télécommunications et les lampes torches accrochées aux guidons des vélos servent d’éclairage public. Aussi effarant que cela puisse paraître, il n’y a pas de lampadaires dans la ville administrée par Amath Dansokho et récemment érigée en région par le Président Wade. Derrière les discours politiques, le futur n’est guère reluisant. Les bâtiments publics comme la préfecture sont d’une vétusté inquiétante. La nouvelle bâtisse de l’inspection départementale en pleine construction sera en…banco. Les maisons en dur se perdent au milieu des belles cases circulaires en paille. Pourtant, le sourire est toujours présent sur les visages des gens, toujours prêts à rendre service. Même bénévolement. Avec un sourire en prime. Dans cette ville perdue à l’extrême orient du pays, la pauvreté, on connaît, mais la solidarité aussi ! Un autre aspect marquant à Kédougou, ce sont les vélos. Moyen de transport omniprésent, même dans les villages les plus reculés. On voit presque autant de personnes que de vélos. Et l’on pourrait même y confondre la cour d’une école à un vélodrome. Avec les vélos, la parité est bien de mise, filles comme garçons et même les femmes avec un enfant sur le dos, pédalent de village en village. Qui se font distinguer par leur éloignement les uns des autres mais aussi et surtout par l’inquiétant calme qui y règne.
Sans les cantines, les écoles seraient vides !
Le matin, il n’y a personne, ou presque, dans ces villages à majorité mandingue, avec des Diakhanké, des Peulh et des Soninké. Tous, hommes comme femmes, sont dans des dizaines de kilomètres, vers Sabodala et Bembou, dans zones traditionnelles d’exploitation d’or. À la recherche d’une improbable pépite. Dans les villages où l’école dispose de cantines scolaires, les enfants suivent les cours tant bien que mal, sinon chacun aussi jeune qu’il puisse être peut servir dans les mines, le travail des enfants y est perçu comme une forme de socialisation. Pour les filles qui y ont la chance d’y être, l’école est juste un passe-temps en attendant de se voir chercher un mari par les parents, souvent bien avant le Cm2. Malgré les progrès, la scolarisation des filles semble être un combat perdu d’avance, tant les mentalités sont tenaces. La fille au foyer, c’est la règle. Une bouche de moins à nourrir vaut mieux qu’un mince espoir de réussite scolaire qui, selon la conscience populaire, risque d’être terni par une acculturation et une perte des bonnes mœurs avec le contact des villes. En plus, les hommes du terroir doivent aussi se marier. Alors, pour eux, mieux vaut…ne pas prendre de risque et donner les filles en mariage le plus tôt possible, contre leur volonté. Dans ce triste décor, on semble se résigner dans la précarité. La seule note qui puisse rendre le tableau présentable, c’est la plus importante, c’est l’espoir. L’espoir qui se lit sur les visages. L’espoir d’un lendemain meilleur qui passe par la découverte d’une fructueuse mine d’or. Qui sait ? À moins que l’érection de Kédougou en région ne change la donne. Même si…
Diouma Woury Diallo, 14 ans, victime des mariages précoces : Le triste parcours d’une fille mariée, veuve, remariée, divorcée depuis l’age de 8 ans
L’histoire de cette jeune fille est pathétique. Elle n’a que 14 ans, mais déjà elle a vécu toutes les situations matrimoniales. Célibataire, mariée, veuve, remariée divorcée. Toutes, contre son gré. Entre 8 et 14 ans. La faute à des coutumes encore très tenaces dans cette partie du Sénégal Oriental. Pourtant, Diouma Woury Diallo est un exemple de fille dévouée aux études qui, à conditions égales avec la plupart de ses camarades des villes, jouerait les premiers rôles. Mais, elle mène trop, beaucoup trop de combats pour son âge. Et son genre. Sa seule volonté c’est de jouir de son droit le plus élémentaire, l’éducation. Rien que ça ! Elle vous raconte son histoire vécue dans un petit village où les élèves ont fait une marche jusqu’à Kédougou en faveur du maintien des filles à l’école. Kénioto, son village est à 5 km de Kédougou. La petite innocente vous parle. Sans détours.
«Je m’appelle Diouma Woury Diallo. J’ai 14 ans et je vis dans le village de Kenioto, à 5 km de la Commune de Kédougou. J’ai perdu mon père très tôt. Après son décès, nous avons été recueillies par un tuteur que je considère comme mon père. C’est lui que j’appelle «mon père» parce que c’est avec lui que j’ai le plus vécu. Quand il me donna en mariage, je n’avais que 8 ans. Je faisais le Ce2. Je ne connaissais rien et ici on n’imagine pas discuter les ordres venant des parents. C’est ainsi que j’ai rejoint le domicile conjugal tout en poursuivant les études. Mais l’aventure ne fut pas longue puisque mon mari mourut 7 mois après que je l’ai rejoint chez lui. Naturellement je suis retournée chez moi. Mais ce ne fut pas pour longtemps car le petit frère de mon défunt mari déclara qu’il m’aimait et voulait « hériter » son frère. «Mon père», en fait mon tuteur, n’y voyait aucun inconvénient, il voulait même que je retourne encore dans ma belle-famille pour me remarier avec mon beau-frère. Ca ne plaisait pas à ma mère mais la décision ne lui appartenait pas, elle n’avait pas son mot à dire. Je fus obligée à y retourner; si j’évoquais l’idée de refus, je risquais être battue. J’y suis finalement retournée pour la deuxième fois, pour un deuxième mari, dans le même village, dans la même famille, contre mon gré. Parce que pendant ce temps, mon avis comptait pour du beurre. J’ai pleuré de toutes les larmes de mes yeux, j’avais peur, je n’avais même pas 10 ans ! Mais ça ne servait à rien. Mais tout cela n’a rien altéré à mon envie de poursuivre mes études. Avant d’aller à l’école, ma belle-mère exigeait que je fasse les tâches ménagères. J’en avais jusqu’à 8h30, ce qui me causait un énorme retard. Je n’en pouvais plus. Mon mari voulait que j’abandonne les études. Ce que je n’entendais pas de cette oreille ! Il a ainsi commencé à me battre et j’ai quitté la maison pour retourner chez moi. Mon «père» refusa catégoriquement et devant mon insistance et le soutien de ma mère il se résolut à accepter tout en disant que je ne mangerai plus jamais un repas issu de sa dépense. Une bonne volonté voulut m’accueillir à Kédougou, mais il a encore refusé. Ici les gens n’imaginent pas laisser leurs filles partir pour la ville, quelque soit la raison. Nous sommes prédestinées aux travaux domestiques et champêtres mais aussi aux mariages précoces et forcées. J’ai fait des pieds et des mains pour pouvoir continuer à étudier, j’ai dû prendre les 1.000 francs qu’un oncle m’avait offerts pour m’inscrire en cachette dans un village environnant. Pour ne pas être en retard, je courrais jusqu’à l’école. C’est là que j’ai décroché mon entrée en sixième l’année dernière après avoir redoublé en CM1. Ma mère a vendu sa vache pour me payer un vélo afin que je continue au Cem de Kédougou pendant que mon «père» ne me parlait plus. Actuellement, le vélo est le seul moyen pour faire le trajet Kénioto-Kédougou-Kénioto (10km) sinon, c’est à pied que je le fais, deux fois par jour. Aujourd’hui, mon vélo est en panne, parfois je marche, parfois des amis me supportent sur le siège arrière de leurs vélos. Je ne veux pas résider à Kédougou en laissant ma mère et ma sœur seules. Je ne vis plus chez mon mari et je ne sais pas si je suis toujours dans les liens du mariage on ne m’a pas encore dit si le divorce est prononcé ou non et je n’ose pas demander. J’entends dire que la décision appartient à mon «père» qui ne veut même pas me parler. Mais actuellement, mon objectif est de ne pas penser à tous ces problèmes et me concentrer sur mes études, c’est très difficile mais je veux réussir dans les études.»
Salif Diao foot-balleur originaire de Kédougou sur la scolarisation des enfants : «Les autorités sénégalaises parlent beaucoup mais dans le concret, elles ne font rien !»
Il est originaire de Kédougou. Nous l’avons trouvé en vacances avec sa famille, dans sa contrée qui souffre de toutes les peines pour la scolarisation des enfants, particulièrement des filles. Salif Diao n’a rien perdu de la verve qu’on lui connaissait et a bien voulu nous donner son avis sur la question. Se faisant le plaisir de tirer sur les méthodes de nos autorités qui, selon lui, ne sont bonnes que dans la parole et passent à côté quand-il s’agit de concrétiser. Enfin, malgré lui il a levé un coin du voile sur sa carrière de footballeur qui prend un tournant décisif. Le dernier.
Salif, vous êtes originaire de la région de Kédougou qui fait actuellement l’objet d’une grande attention de l’Etat et des partenaires sociaux comme l’Unicef pour la scolarisation et le maintien des filles à l’école. Peut-on s’attendre à ce que vous fassiez un geste en direction de ces écoles qui souffrent d’un manque criard d’infrastructures scolaires ?
Il faut toujours un suivi. Si c’est pour venir pendant deux semaines et se casser les dents ça ne sert à rien. Je pense que c’est un problème africain en général, il faut que ça change, il faut que les mentalités des gens évoluent. Le problème, c’est que dans le secteur, les gens sont comme dans un cocon, tant qu’ils n’en sortent pas, ils ne pourront pas comprendre la nécessité de scolariser les enfants, particulièrement les jeunes filles. Donc, je pense que ça, c’est le volet le plus difficile.
Mais vous pouvez quand même faire un pas en équipant des écoles ou…
Chaque fois on me dit : Salif, est-ce que vous pouvez faire quelque chose, mais c’est vague. Moi, je peux accompagner mais je veux que dès que je m’engage sur quelque chose, il faut que ça soit clair et bien défini. Je peux m’engager dans le vide pour qu’on dise : ouais, c’est Salif, il va donner 500 000 ou 1million et qu’après je ne sache pas par où ça passe ! Faut-il toujours attendre que les autorités étatiques fassent le premier pas pour que vous accompagniez ? C’est aussi votre région non en plus il y a les Ong qui font déjà beaucoup que vous pouvez accompagner ! Pour moi, il n’y a pas de problèmes je travaille déjà avec beaucoup d’Ong j’appuie beaucoup de structures, j’ai un parrainage aussi à Monaco. Un truc qui s’appelle Caap Afrika, on travaille surtout au Niger où on opère beaucoup d’enfants qui ont des problèmes de jambes. Mais c’est vrai qu’au Sénégal, c’est difficile. Les autorités, ça parle, ça parle mais dans le concret il n’y a aucun suivi ! Au Niger, on fait des descentes chaque année pour des opérations gratuites pour les gens. Parce que le gouvernement est là, il dit des choses et il appuie. Mais malheureusement ici au Sénégal, rien ne se passe, et c’est dommage pour moi, d’avoir une association comme ça que je parraine dans un autre pays et que je ne puisse pas le faire dans mon pays parce que les autorités s’en f… Vous arrive-t-il lors de vos vacances ici de sortir un peu vers les villages environnants voir ce qu’y s’y passe ?
Bien sûr, je sais ce qui se passe un peu partout mais comme je dis, il faut d’abord arriver à changer la mentalité des gens, les faire sortir de leur cocon. Qu’ils voient qu’il y a autre chose parce que malheureusement pour la plupart des gens, au niveau social il y a tellement de problèmes. S’ils se réveillent le premier réflexe pour eux c’est de savoir comment faire pour nourrir ses enfants. Donc ils n’ont pas cette ouverture d’esprit qui leur permet de se dire que même si j’arrive pas m’occuper de mon enfant comme il se doit, je devrais faire des sacrifices pour qu’il soit scolarisé, qu’il puisse grandir voir autre chose, pour que demain il puisse s’occuper de ses frères et de ses parents. Mais pour ces derniers aujourd’hui, malheureusement la priorité, c’est certes comment faire pour faire manger à ses enfants. Alors qu’il urge surtout de penser aussi à les scolariser. L’école, c’est quelque chose de primordial pour eux.
Alors que faites-vous présentement pour les populations de la localité, y a-t-il un projet que vous parrainez ?
Un projet ? Bon moi, je fais avec mes moyens malgré les difficultés j’essaie de faire dans mon domaine, le football. J’ai une école de foot où il y a au moins 75 petits garçons. C’est l’école de football Salif Diao de Kédougou. On les entretient on s’occupe d’eux, de leur scolarité, donc je pense que si j’arrive à réussir dans cette entreprise c’est déjà pas mal.
Qu’y a-t-il sur votre œil gauche, vous vous y êtes blessé ?
Non, ça c’est juste une petite opération banale. C’est un kyste que j’avais là. Je ne voulais pas que ça s’infecte mais ce n’est rien. Malgré vos réticences, nous allons évoquer le sportif… Je vous avais dit que je ne voulais pas parler de ça. Mais parlez-nous juste un peu de votre saison, vos contacts. Quel bilan personnel tirez-vous de votre saison en deuxième division avec Stoke City ?
Ça va, je me porte bien. J’ai fait une saison meilleure que la dernière. C’est déjà mieux. Malheureusement, mon club n’a pu accéder en première division. Sur le plan sportif, c’est le seul regret que je peux avoir.
Et les contacts ? Nous sommes au début du mercato et les rumeurs vont bon train.
Les contacts il y en toujours à cette période, mais pour le moment je ne veux pas trop m’épancher dessus.
Allez-vous rester en 2e division la saison prochaine ?
Vous savez je suis à un tournant décisif de ma carrière. A 30 ans, il faut prendre le temps de bien réfléchir pour prendre la meilleure décision. Il me reste quatre ou cinq saisons donc il ne faudrait surtout pas se précipiter. Vous comprenez ?
On vous annonce à Portsmouth et au Psg , quelle est l’équipe qui tient la corde ?
Vous savez, on m’a envoyé un peu partout. Mais je n’ai encore signé nulle part. Mon contrat avec Liverpool est arrivé à terme. C’est vrai que les contacts sont nombreux mais je discute avec tout le monde. Le moment venu, je prendrai une décision et on pourra en parler. Vous connaîtrez ma destination. Ce sera en Angleterre apparemment ?
On m’envoie partout. Mais bon je préfère rester en Angleterre. Je m’y sens bien et je veux me faire plaisir dans ce championnat qui me va bien.
Ca fait un bail qu’on n’a pas revu Salif dans la tanière. Gardez-vous le contact avec les Lions ?
Non, non ! En fait, pas tellement. On ne se voit pas, pour certains, on se parle rarement au téléphone mais ça s’arrête là. Bon, je crois qu’on a trop largement parlé de foot comme ça alors qu’on avait convenu ne pas en parler.
Ok. Comment se passent vos vacances ? Le retour au terroir malgré la chaleur…
Super ! On s’adapte. En plus, je suis d’ici. Et puis en tant que footballeur je me dois de m’adapter à toutes ces situations. Il fait plus chaud dans certains pays africains.
Article Par BABACAR NDAW FAYE (Envoyé Spécial), Nouvel Observateur