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Le Pr Abdoulaye Bathily ne déroge pas à la ligne critique contre les méthodes de gouvernance du Président Wade et de son gouvernement. Sur les inondations, notamment le Plan Jaxaay, tout comme sur le dossier du bateau Le Joola qui renfloue aujourd’hui à l’initiative du juge français du Tribunal d’Evry, les rapports détériorés entre la presse et le pouvoir, la banqueroute que traversent les finances publiques, et les querelles intestines au sein d’un Pds qu’il considère comme un Groupement d’intérêt économique, M. Bathily n’emprunte point la langue de bois. Il se livre à un réquisitoire féroce contre Wade et son régime.
Le Front Siggil Senegaal s’est réuni récemment autour de la question des inondations. Auparavant, le Parti socialiste a révélé qu’il y a un plan de 80 milliards, dégagé à l’époque. Au niveau du Front Siggil, on estime que le Plan Jaxaay a englouti 67 milliards pour une construction de 1500 logements. De quoi il retourne exactement par rapport à ce Plan Jaxaay ?
Dans le document du Front Siggil Senegaal, on a parlé de 67 milliards sur la base des enquêtes faites. Il y a un manque total de transparence dans la gestion de ce projet. Evidemment, on se laisse aller à beaucoup de conjectures, mais la réalité est qu’il y a eu des dizaines de milliards qui ont été annoncées, qui sont sorties effectivement du Budget national, mais toutes ces sommes n’ont pas été, loin s’en faut, toutes utilisées. Il y a effectivement leur détournement pour des opérations politiciennes. C’est pourquoi le Plan Jaxaay a été une escroquerie politico-financière. Et la réalité nous le montre maintenant, parce qu’il est clair que si cet argent avait été utilisé à bon escient, on n’en serait pas là aujourd’hui au niveau des inondations. Le Front Siggil Senegaal ne s’est pas limité à faire le procès de ce projet, ses motivations, mais a fait, ce qui est plus important encore, des propositions très concrètes, très pratiques. Le ministre Seydou Sy Sall l’a bien exposé devant la presse. Nous avons un régime qui est incapable de réfléchir, d’utiliser l’expertise nationale, qui pilote à vue, passe tout son temps à faire des opérations politiciennes et des escroqueries financières sur le dos des contribuables sénégalais. Il faut que ça cesse ! Aujourd’hui, les populations de la banlieue dakaroise, comme toutes les populations victimes aujourd’hui des inondations, ont vu très clairement qu’en 2006, en 2005, qu’il ne s’agissait pas d’un geste de magnanimité, de générosité de la part d’Abdoulaye Wade, qui avait annoncé qu’il reportait les élections pour leur donner des maisons. Tout le monde savait que ce n’était pas possible. On l’avait dit, maintenant tout le monde l’a constaté. Maintenant que les citoyens prennent en main leurs responsabilités et s’organisent pour mettre fin à cet état de fait ! C’est la même situation qui a entraîné le transfert des millions de dollars dans ce fameux compte de Taïwan à Chypre. Et tous les jours, il y a ce qu’on appelle ces dépassements budgétaires qui sont le produit de toutes ces opérations, qu’elles soient rendues publiques ou non. C’est le pillage, la mise à coupe réglée des ressources publiques, des ressources financières de notre pays par Abdoulaye Wade. Le problème de fonds aujourd’hui, c’est que Abdoulaye Wade, non seulement, n’a pas de solution aux problèmes du Sénégal, mais au bout de 8 ans, a mis à genoux l’économie nationale. Les gens du régime ont pillé toutes les ressources nationales. Tout le monde se rend compte que le pays est en situation de banqueroute. Ce n’est pour rien que l’Union européenne et le Fmi ruent dans les brancards. On ne peut pas parler, aujourd’hui, de souveraineté du pays face à des étrangers. Quand le complément de votre budget national dépend de l’étranger, vous n’avez pas de souveraineté. Quand le financement de vos projets et même de votre administration dépendent de l’étranger, de quelle souveraineté vous pouvez parler ?
Votre camarade, l’ancien ministre Seydou Sy Sall, a fait savoir lors de cette rencontre que le déguerpissement des populations devait venir en aval, car on devait d’abord prioriser l’assainissement et refaire les zones particulièrement inondées. D’où vient la pertinence d’un tel argument ?
Seydou Sy Sall l’avait dit, quand il était au gouvernement ; il n’a pas été suivi. Avant lui, Amath Dansokho avait dit la même chose, quand il occupait ce poste (Ndlr : ministre de l’Urbanisme) du temps du gouvernement de majorité présidentielle. A l’époque, ils ont mis en place un dispositif : la Fondation «Droit à la vie». Il y a également les projets de restructuration de plusieurs quartiers à Dakar, comme Dalifort, et Pikine à Saint-Louis. Donc, c’est des techniques qui sont éprouvées de par le monde ; et au Sénégal, il y a eu déjà une bonne expérimentation de ces techniques. Donc le problème de fond, c’est qu’il est impossible de déplacer cinquante mille familles. Abdoulaye Wade le dit, mais il ne peut pas le faire. Aujourd’hui face à l’ampleur du désastre, il est désarçonné, déboussolé ; il donne des solutions à l’emporte-pièce, irréalisables. De même, le déguerpissement est impossible. A la fin des pluies, quand l’eau va se retirer ou va s’assécher, on n’en parlera plus jusqu’à la prochaine saison des pluies. Comment vous pouvez imaginer déplacer plus cinquante mille familles ? Pour les amener où? Aujourd’hui, les parvenus de ce régime ont pris toutes les réserves foncières de la région de Dakar ; ils ont tout partagé entre eux ; il ne reste plus de terrain. Peut-être qu’ils vont les amener à Thiès. Comment ? Par quels moyens ? Où vont-ils les installer ? Quelles sont les infrastructures ? Ces gens-là travaillent à Dakar, y ont leurs petits métiers. Comment ils vont se rendre là-bas? Tout cela donc, c’est un coup d’épée dans l’eau. C’est pourquoi Seydou Sy Sall, en professionnel, dit qu’il faut d’abord étudier la réalité du terrain, et savoir qu’il y a trois situations : des quartiers flottants qui existent, déjà lotis, mais où il n’y a pas eu d’assainissement, même s’ils sont bien structurés. Donc, quand il y a la pluie, les eaux de ruissellement stagnent. Dans ces zones, il faut mettre l’assainissement en place, faire sortir les canalisations pour l’évacuation des eaux. Deuxième cas de figure: il existe déjà l’assainissement, peut-être des installations, les quartiers sont structurés, mais il n’y a pas suffisamment de travail de ré-ensablement ; donc, il y a également un travail de profilage à faire. Certaines maisons, un nombre infime, pourront être déguerpies. Maintenant, il y a les bas-fonds et là, c’est la réalité du terrain qui va dire que pour ces cas-là, on ne peut plus rien faire, par conséquent, il faut qu’ils sortent. Donc, faire une étude diagnostic de ces réalités constitue la solution à long terme, mais pas de bricoler. Tous les spécialistes du métier le savent.
Vous parliez de l’absence de souveraineté. Justement, suite à l’affaire du bateau Le Joola, certains jugent que la France, au nom du respect de la souveraineté sénégalaise, n’a pas à s’immiscer dans ce dossier ; d’autres trouvent qu’au nom de la justice universelle, on a parfaitement raison de vouloir éclaircir ce naufrage qui a été, quand même, la plus grande catastrophe maritime qu’a connue l’humanité. Quelle est votre position par rapport à ce débat ?
Ce dossier montre non seulement l’amateurisme, mais l’irresponsabilité du régime d’Abdoulaye Wade dans sa gestion. Il y a eu 1 800 morts. Si avec le «masla» sénégalais aidant, certaines victimes, de guerre lasse, ont renoncé à leur droit pour des raisons ou pour d’autres, à la fois morales et éthiques ou sous les pressions, il n’en est pas de même des citoyens d’autres pays. Ils sont quand même nombreux. En plus, un Etat a une responsabilité face à ses citoyens. Mais c’est normal que la justice française, sous la requête des citoyens français, veuille faire la lumière sur cette affaire. Qu’on fasse le «masla» pour les citoyens sénégalais, mais ce n’est pas la même chose pour des citoyens d’autres pays qui sont concernés. Si j’étais citoyen français, ayant perdu des membres de ma famille dans une catastrophe de cette nature, j’ai le droit de réclamer justice. Le gouvernement sénégalais a très mal géré cette affaire de bout en bout. Maintenant, qu’il fait face à la réalité, qu’il n’use pas de faux-fuyants consistant à se réfugier derrière notre souveraineté nationale. C’est des êtres humains qui ont perdu des êtres chers. Si des Sénégalais étaient morts dans des conditions similaires en France, aux Etats Unis ou en Russie, ils ont le droit de réclamer justice. On se rappelle : un Sénégalais a été assassiné en Russie, pour ne citer que cet exemple ; tout le monde s’est ému ici. On a réclamé justice auprès de l’ambassade de Russie. C’est ainsi que s’opère la justice.
La justice française n’est pas actionnée par le gouvernement français, mais c’est les parents des victimes françaises du Joola qui ont porté plainte et qui, pendant des années, n’arrivaient pas à avoir d’interlocuteurs, à cause de l’amateurisme, de l’irresponsabilité d’Abdoulaye Wade. Maintenant, il faut qu’il gère ce dossier avec sérieux, car il est obligé de faire face à la situation.
Maintenant, que pensez-vous de la réciprocité brandie face à cette situation ?
S’il y a des Sénégalais qui ont été victimes, il n’avait qu’à le faire en son temps. C’est ça aussi l’irresponsabilité : vous attendez qu’on vous accuse d’avoir mal géré le dossier du Joola, de n’avoir pas traité la question des victimes d’un pays en particulier, et vous dites : «Ah moi aussi, j’ai des gens qui sont victimes.» C’est maintenant seulement que vous vous souvenez que vous aviez des victimes là-bas. C’est de l’enfantillage à la limite. Pourquoi on se souvient d’elles aujourd’hui et pas avant ? L’ambassade du Sénégal en France, le consulat du Sénégal en France ont toujours fermé les yeux, surtout depuis l’alternance, sur la situation des immigrés sénégalais. Ils ne se sont jamais occupés d’eux. Il y a nos parents, les immigrés qui sont en Italie, aux Etats Unis ; chaque fois, il y a des gens qui meurent, sont victimes de tracasseries policières, mais le gouvernement sénégalais n’a jamais levé une seule fois le doigt. Nous-mêmes, en tant qu’hommes politiques, nous avons eu à traiter de ça, mais Abdoulaye Wade a considéré que cela ne servait à rien. Tous ces Sénégalais morts pendant l’immigration clandestine ou qui sont revenus, ont été traités comme des moins que rien. Sur leur dos, Wade a marchandé avec le gouvernement espagnol de l’argent pour mettre fin, soit disant, à l’immigration, alors qu’il savait bien qu’il ne peut le faire. Donc, c’est de l’amateurisme. C’est une position d’irresponsabilité, car il n’y avait qu’à le faire avant, ça aurait rendu crédible cette prise de position de souveraineté. Tout cela, du reste, est encore de la diversion.
C’est la même diversion pour vous la polémique entre Wade, président de la République et Macky Sall, Président de l’Assemblée nationale sur les questions de préséance en France ?
Les problèmes du Pds sont sans intérêt pour les Sénégalais. Ils (les responsables libéraux : Ndlr) doivent rendre compte tous de la manière dont ils ont géré ce pays. Ils ont mis ce pays dans l’état où il est ; ils ne peuvent nous divertir par leurs querelles intestines. Le problème des Sénégalais, c’est où est passé notre argent qu’ils ont pillé. Les comptes du Sénégal étaient au vert en 2000 ; eux-mêmes avaient proclamé que les caisses étaient remplies à bâbord. Aujourd’hui, c’est la banqueroute : qu’ils expliquent aux Sénégalais où est passé l’argent ! Aujourd’hui, la création de nouvelles régions et communautés rurales, de nouveaux départements sont de nouvelles diversions qu’ils ont créées pour mettre les populations les unes contre les autres. Or, le vrai problème de ces populations, ce n’est pas d’avoir des gouverneurs et des préfets, mais d’avoir des infrastructures, le riz moins cher, régler leur problème de santé et d’éducation. Mais Abdoulaye Wade, c’est la diversion permanente ; chaque fois qu’il fait face à une difficulté, il crée une diversion. En permanence, c’est ainsi.
Que pensez-vous de ce constat d’une mission du Fmi présente au Sénégal, et qui envisage par rapport à la situation catastrophique des finances du pays, la vente de bijoux de famille du Sénégal comme l’hôtel Méridien, les actions de la Sonatel ?
Je ne suis pas d’accord avec le Fmi qui n’a pas à prendre cette décision à notre place. Ce sont les bijoux des Sénégalais. Si un régime a failli à sa mission, a fait preuve de mauvaise gestion, a pillé les deniers publics, les gens du Fmi doivent le dire très clairement. Il y a beaucoup de fumisterie dans ce qu’ils disent souvent. La Banque mondiale dit qu’aujourd’hui, le Sénégal est un des pays où on peut faire de bonnes affaires. Mais c’est de la vaste blague ! Quelles affaires, on peut faire ? Aujourd’hui, toutes les entreprises qui ont participé à l’Anoci sont sur le point de mettre la clef sous le paillasson. La Senelec, les Ics, la Sonacos, toutes les entreprises nationales sont en faillite, et la Banque mondiale, on ne sait sous l’emprise de quel lobby, ose proclamer qu’au Sénégal on peut bien faire les affaires. Toutes les entreprises du bâtiment, qui constituaient le révélateur de la croissance économique, sont en faillite et on prétend que le Sénégal est un pays où on peut faire les affaires. C’est de la fumisterie organisée sous l’empire de lobbies bien connus, tapis dans certains milieux. C’est quelques fois payé, voilà la réalité. Ils n’ont pas à vendre nos bijoux de famille, aujourd’hui la question n’est pas là. La question, c’est d’obliger le gouvernement à diminuer son train de vie qui n’a aucunement changé. Wade continue de voyager comme il veut, avec qui il veut, avec autant d’argent, en louant des avions. Il continue de donner de l’argent à gauche, à droite. Lui et son gouvernement continuent de rouler en carrosse, avec ses milliers de 4x4 qui circulent, vitres teintées. On a ce gouvernement pléthorique, avec ses ministres, ces agences pléthoriques, ces contrats spéciaux donnés à la pelle. Voilà les vrais gisements sur lesquels il faut mettre le doigt pour restaurer les équilibres macro-économiques, financiers de l’Etat. Ce n’est pas en vendant les actifs de l’Etat à la Sonatel, des travailleurs de l’Ipres, qu’on va restaurer ces équilibres. Ce sera pour entretenir ce train de vie. Donc, il ne faut pas que la Fmi nous entraîne dans une situation pire. De toute façon, je l’ai dit, il y a trois ans, après le régime d’Abdoulaye Wade et même avant sa fin, nous allons devoir faire un ajustement pire que ce qu’on a vu en 93. Ce n’est pas en vendant, par-ci, par-là, des entreprises, les actifs de l’Etat qu’on va résorber ce déficit des finances publiques. La mesure principale à attendre de la Banque mondiale et du Fm, c’est que l’Etat redevienne modeste, non pas par des discours lénifiants, absolument en dehors de toute réalité, et consistant à dire qu’il faut vendre et trouver du business au Sénégal. Quel business ? Il n’y a pas de business digne de ce nom; c’est de l’affairisme d’Etat au Sénégal.
Propos recueillis par Soro DIOP, Le Quotidien.